Free your body !

par Adehoum Arbane  le 10.03.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Une main de fer dans un gant de velours. Telles sont les seventies lorsqu’elles démarrent dans un flamboiement heavy. Sous leurs capes de hippies glabres, Ian Gillian de Deep Purple et Robert Plant au sein – !!! – de Led Zep cachent de beaux diables s’époumonant alors dans les stades, nouvelle dimension de l’Entertainment conforme à leur stature. Au sens propre comme au figuré, Free s’est libéré de ces nouveaux diktats pour incarner l’exacte figure opposée : le velours sous le fer. Le quatuor a même déjoué l’idée fausse selon laquelle le rock serait viriliste. Bien qu’incarnées majoritairement par des hommes, nombreuses furent les formations qui évoluèrent dans des registres variés, parfois à contre-courant de leur genre – sans mauvais jeu de mots – d’origine. Free en fait bien évidemment partie et nous allons tenter d’en résumer le parcours au travers de son album le plus emblématique. 

Avant tout chose, il n’est pas vain de retracer le contexte dans lequel la formation a grandi. 1968, les quatre jeunes musiciens se retrouvent au carrefour du rock, à Londres donc, épicentre de la révolution pop démarrée quelques années plus tôt avec les Beatles et les Stones. Mais c’est à Alexis Korner que le groupe doit son premier coup de pouce destinal. Le choix de son nom : ce sera Free. La marque est simple, universelle, riche de promesses et habile pour qui veut toucher le cœur de la jeunesse. Comme beaucoup de concurrents sérieux – Cream, Yardbirds, Led Zep – Free capitalise sur le blues qui a, à l’époque, les faveurs du public et de la presse. Mais en le traitant de manière différente, comme si Paul Kossoff, le guitariste, le coulait dans un nouvel alliage. 1969, pour son deuxième album sobrement éponyme, la musique du groupe prend des accents plus soul, à rebours d’un psychédélisme que la très belle pochette laissait cependant présager. Loin de la formule power trio avec le guitar hero en figure de proue, la team Paul Rodgers au chant et Andy Fraser à la basse se met en avant, tant au niveau du songwriting que de l’interprétation. C’est sur Fire and Water que le groupe atteint la quintessence. Mettons de côté le méga tube Alright Now, aux évidentes qualités, pour nous appesantir sur les autres titres. Hormis Fire and Water qui ouvre la face A, posant les bases d’un son franc mais élégant – la section rythmique du groupe –, Free assume des compositions plus douces, parfois mélancoliques, de ces ballades qui vous font quitter un moment la route balisée d’un rock saturé de testostérones. Oh I Wept sonne encore très blues, cependant le jeu de Fraser – qui coécrit avec Rodgers tous les titres – apporte à la chanson une élasticité, non pas jazz, un groove qui souffle tout du long pareil à une brise. La voix féline de Rodgers fait le reste. À le voir, avec ses faux airs de Michael Wincott jeune et androgyne, on se dit que les chats ne font pas des chiens et que cette musique ne pouvait que miauler, se lover partout, se frotter à nous dans une ronde voluptueuse dont on ne voudrait pas qu’elle s’achève. Bonne nouvelle, ce petit jeu continue sur Remember auquel la guitare languide de Kossoff apporte de fins rayons de soleil comme au couchant. La face s’achève sur Heavy Load, ballade ultime, sublime aveu de faiblesse chanté par un homme qui semble – dans le texte – arrivé au bout de toutes choses. Fraser a troqué sa basse pour un piano, l’instrument des singer-songwriters, et profite de la longueur de la chanson – la règle général sur tout l’album qui ne dépasse pas les trente-sept minutes – pour envoyer dans nos ventres son uppercut émotionnel. Nous ne sommes pas à terre, mais allongés, la tête dans l’herbe folle à contempler le ciel d’un bleu intense où se promènent quelques nuages aux formes étranges. À cet instant, on dirait que Free sonne comme Heart, le groupe des sœurs Wilson. 

On change de face, mais pas d’humeur. Mr Big est la seule concession au blues brut de décoffrage. Exceptionnellement composé par les quatre musiciens, ce n’est pas le morceau le plus notable. Plus intéressante est la chanson suivante, Don't Say You Love Me, pure ballade black. C’est le titre le plus long, et aussi le plus typique du style Free débuté dès leur deuxième Lp. Rodgers y chante merveilleusement bien, comme un frontman de la Motown. Mais sans esbroufe, ce qui lui permet de faire claquer son refrain à l’incantation imparable. Là aussi, il faut écouter la basse de Fraser, très subtile, s’entrelaçant autour des instruments dont le piano qui revient, impérial et grandiose. Il ne faudrait pas passer sous silence le style sec et peu disert du batteur Simon Kirke qui se met au service des chansons. Comme évoqué plus haut, tout cela finit par le puissant et iconique Alright Now. C’est vrai que l’on est bien là, maintenant. Libéré des préjugés qui n’en sont pas, des bêtes querelles contemporaines pour laisser place à la Musique. Avec un grand M, vous aurez noté. Comme le sentiment du même son. 

Free, Fire and Water (Island)

fire-and-water.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/104586

 

 

 

 

 

 

 


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