On n’a de cesse de demander à la pop de se réinventer et c’est là son unique défi d’une décennie à l’autre. Chaque époque a été ainsi portée par une révolution. Les 60s assurent brillamment le relai entre l’ère brève mais intense du 45t et celle plus conceptuelle du 33t comme objet pop à part entière ; les 70s accouchent du Hard, du Glam, du Prog puis du Punk ; les années 80 inventent et popularisent la Synthpop, l’Indie Rock mais aussi le Hip-Hop ; les années 90 offrent dans un maelström déroutant Électro, Britpop et Grunge. Et les années 2000 ? C’est avant tout l’explosion d’Internet qui rend ce legs considérable enfin accessible à tous.
Internet dans sa forme quasi contemporaine invente le téléchargement illégal et son corolaire, le peer-to-peer (Napster, Limewire, The Pirate Bay), les blogs, le streaming audio et vidéo, les premières sites communautaires – hé oui, qui n’a pas eu son Myspace ? –, et enfin Deezer, Spotify, SoundCloud ou encore Bandcamp. Autant d’innovations dont la musique a bien évidemment su profiter. Mais l’exemple le plus emblématique demeure Youtube. On y trouve tout ce que la Pop Music a pu produire de connu et d’inconnu. Irriguée par le concept de sérendipité, la source semble intarissable. Au-delà de ce vertigineux réservoir dans lequel on plonge bras serrés, Youtube a été et reste l’occasion d’exercices particuliers, des figures imposées que leurs utilisateurs savent réinterpréter, parfois avec malice et talent. Ainsi, la performance "live" continue de vivre sous différentes formes, qu’il s’agisse d’artistes établis ou de jeunes pousses désireuses d’ouvrir grand les portes de la reconnaissance. Margot Cotten en fait partie. Cette jeune multi-instrumentiste s’est emparée du média pour proposer une expérience relativement immersive, la performance live en groupe. Mais à elle seule.
Rien de nouveau objecterons les esprits chagrins. Il est vrai que la plateforme a produit son lot de vidéos musicales virales où, pour n’en citer qu’une, on a pu voir un groupe joué ensemble, via un montage en split-screen, alors que les musiciens étaient disséminés de par le monde. Margot Cotten, elle, a décidé de reprendre à son compte le concept de l’ubiquité. Telle la Sabine de Marcel Aymé, à la manière d’un Philip K. Dick dans Ubik, on la découvre guitare en mains, basse sur l’épaule, et même derrière les fûts. Non sans humour, elle a donné à sa chaîne Youtube le nom référencé de Margot Cotten With Or Without A Little Help From Her Friends. Dans cette traversée du corpus rock en solitaire, on songe immédiatement aux paroles du groupe psyché The National Gallery sur Fear Becoming Double : « I’m Sailing on a sea of me/Here I go/Here I am/I meet myself and shake My hand. » Dans son sous-sol transformé en studio d’enregistrement façon Basement Tapes de Dylan avec The Band, tout y passe : Lodi, Mother’s Little Helper, Heart Of Stone, Mr Tambourine Man etc. Au-delà du plaisir de voir sa collection d’instruments aussi légendaires que les titres qu’elle réinterprète fidèlement tout en y apportant sa voix, son cœur, son mojo et son âme, on mesure la difficulté de l’exercice. Être partout, nous l’avons dit, mais être surtout en place, jouer sans fausse note tout en insufflant à ces vœux standards l’émotion nécessaire à la transfiguration.
Cette audacieuse créativité trempée dans le bain de jouvence de la spontanéité a cependant un revers. Elle cache les vicissitudes d’une Industrie musicale à la peine, incapable de faire surgir d’authentiques artistes et où bêtise et vulgarité l’emportent bien souvent. Cela n’entame en rien la détermination de Margot Cotten qui avec ses amis ou sous son propre nom grave ses propres chansons, pour le feu sacré et qui sait la légende. Sur son dernier single en date, le californien et carillonnant E.Z. Rider, elle a enrôlé les Bee’s Knees soit le guitariste Lous-Marin Renaud, Olivier Viscat à la basse, Alexandre Waizer à la batterie et Léo Cotten, son cousin, au piano, ce même Léo que l’on connaît déjà pour jouer de l’orgue sur les galettes de Gaspard Royant. On lui souhaite le meilleur, l’accomplissement et un grand destin. En attendant, Margot vous attend dans son Cotten Club. Pas besoin d’invitation. Comme dans la maison bleue, la porte est toujours ouverte.
https://margotcotten.bandcamp.com
En concert le 19 mars au Walrus et le 27 mars au Nopi, en première partie de Dylan Leblanc
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