Pour beaucoup de gens, y compris ceux qui les connurent de très près, les années 80 ont souvent été synonymes de hardcore. Pas le genre. Mais bien l’adjectif. Il s’agit d’un malentendu longtemps entretenu par les années Top 50 en France, MTV aux États-Unis. Si l’on choisit de faire l’impasse sur le tout-venant des tubes eighties – et encore on trouve quelques perles mainstream –, il convient de s’arrêter sur l’essence même ce que les exégètes appelèrent synthpop, fille légitime du post-punk et du krautrock, entre autres. Gilles et Dominique François ne sont pas nés du côté de Londres, ni à Sheffield, encore moins à Manchester. Mais ils ont décidé, au travers de leur projet commun Mondial Pokett, de ressusciter la flamme bleue de la pop synthétique. Cette démarche ne relevant pas de la basse opportunité, ils ont opté pour un titre d’album en forme de profession de foi, à la fois direct et séducteur : Catch The Wave If You Can. Pourquoi un tel credo, sincère qui plus est ? Sans doute parce qu’ils ont vécu cette période en direct, ok, par ondes interposées mais peu importe. Ils ont été imprégnés par cette musique étrangement futuriste aux héros devenus légendaires, que nous ne citerons pas : nos deux exégètes s’en chargent plus bas. Non, ce qui fait la singularité du projet Mondial Pokett tient en trois points. Des synthés et une rythmique de plomb fondus dans les forges d’on ne sait quelle citée post-industrielle du nord de l’Angleterre. La voix de Dominique, ample, profonde, spectrale. À laquelle s’ajoute celle de Gilles, au timbre plus mescalin. Et enfin, l’essentiel : les chansons. De celles qui jouent les sparadraps du capitaine Haddock. Cela commence avec leur tube, She Moves On The Dancefloor, carré, vicieux, addictif et dont la traduction est sans appel, si ce n’est celui de la piste de danse, vous l’aurez compris. For You poursuit dans le même mood. Même s’il n’adresse pas un clin d’œil à Bernard Summer, A Summer's Tale joue dans la catégorie des ballades universelles, peut-être plus que Cry, qui apporte cependant une pause bienvenue avec l’incursion, dans cet univers de froideur métallique, d’un piano acoustique, pour rappeler qu’une chanson s’apparente à de la chair, sang et âme. Velvet Revolution, comme l’expliquera Gilles, est leur morceau politique, un testament ? Nous verrons bien. Got A Gunfrappe par sa noirceur, Down, Down, Down enfonce le clou quand One Word nous relance vers la lumière, grand finale à la mélodie panoramique. Il suffisait d’un mot. Pour l’instant, ce sont d’autres mots rapportés qui nous en diront plus sur cette œuvre brève mais prenante, et la suite que tout un chacun est en droit d’espérer. Tant qu’il y a de la vie, fut-elle synthétique, il y a de l’espoir !
Shebam : À l’heure où pullulent ce qu’on appelle les "fake news", il convient de remettre les pendules à l’heure. Aussi, je vous propose une interview vérité. 100% true facts, sans dérobée, sans porte de sortie ! Hum, Hum ! Salut les frères François (ça fait un peu confrérie de moines trappistes) ! Il existe une longue tradition de la fratrie dans la pop. Vous inscrivez-vous dans cette tendance ?
Dominique : Le fait d’être frères nous apporte bien sûr une certaine complicité qui se retrouve dans nos compos. Mais de là à monter une confrérie…
Gilles : Amen ! Et les Gallagher, Davies et autres Gibb n’ont qu’à bien se tenir !
Shebam : Chez vous, la musique est une histoire familiale. Dites-nous tout ! Gilles, tu évoquais il y a quelque temps la carrière de ton père en photos, si je ne m’abuse.
Gilles : Oui notre père, qui n’est vraiment pas du tout aux cieux, avait un orchestre de bal qui a beaucoup sévi dans les années 60-70, pattes d’éph et chemises velours comprises. Il est même toujours en activité.
Shebam : Sur votre Bandcamp, il y a cette mention énigmatique « Longtemps séparés ». Que voulez-vous dire par séparés ?
Dominique : Ados, on avait monté notre premier groupe avec deux autres frangins d’ailleurs. « Longtemps séparés », ça veut juste dire qu’on a pris chacun des chemins musicaux différents, et donc attendu très longtemps, trop longtemps avant d’avoir ce nouveau projet en commun.
Gilles : De groupes en groupes, d’enregistrements de studio en concerts pour divers artistes, je me suis éloigné de l’Aquitaine pendant de longues années. Bordeaux, Paris, et même la Grande-Bretagne pendant trois ans. Aujourd’hui, on se rapproche à nouveau beaucoup.
Shebam : La question familiale me paraissant prépondérante s’agissant de votre parcours musical, qu’en est-il du versant « les amis ». Gilles, je crois savoir que tu as moult projets parallèles, que tu as écrit et joué pour le duo Double Françoise. Les liens du cœur rejoignent-ils ceux des chœurs ?
Gilles : C’est élégamment dit ( :-) ). Comme je l’évoque dans ta précédente question, j’ai pas mal bougé, joué, et rencontré des musiciens avec des personnalités peu communes (quand tu fais la première partie de Blur, des Stranglers, de Kat Onoma, Mink Deville, des Little Rabbits, etc… tu es servi), et il en a été de même avec mes ami(e)s. J’ai formé Sleep Circle avec Marie, ma compagne de l’époque, et effectivement composé le titre « Tourner la tête » pour Elisabeth et Max, les incroyables Double Françoise. Tout cela a pu se matérialiser par la force des affinités en présence. J’ai aussi collaboré des années avec Olivier Rocabois (Absolute Poetry de All If), Le groupe Bradford Musical… Actuellement, je sévis comme batteur pour les French Boutik et Olivier Popincourt.
Shebam : Dominique, parle-nous de toi, de ton propre parcours individuel, de tes projets avoués ou secrets s’il en existe !
Dominique : Je chante depuis pratiquement toujours dans des groupes de compos ou de reprises. Après une courte période où je suis devenu journaliste radio en région parisienne, je me suis rendu à l’évidence. Ma région d’origine, le Sud-Ouest, et surtout la musique, et chanter, me manquaient trop.
Shebam : Venons-en à votre groupe. Mondial Pokett, Catch The Wave If You Can… Beaucoup de références à la pop culture dans son ensemble ?
Dominique : Bien sûr, on a été bercé par cette culture. On peut dire que c’est notre biberon. On a été marqué par ce qu’aujourd’hui on définit comme des références de la pop, mais aussi du rock ou de la new wave.
Gilles : Exactement. Pour synthétiser le tout (sans jeu de mots), le titre Catch the wave est autant un clin d’œil à la thématique Beach Boys, qu’au style pop « wave » dans lequel on évolue. J’invite tes fidèles e-lecteurs à écouter notre titre « One Word » de bout en bout, pour joindre la musique à la parole.
Shebam : Quand on écoute les chansons, on perçoit d’emblée, la new wave, synthpop, Visage et autres noms qui résonnent froidement mais joliment à nos oreilles. Expliquez-nous le cheminement, sachant que Gilles me semble le sosie non officiel de McCartney ?
Dominique : Pour les références, je laisse ça à Gilles. Pour ma part, on s’est donnés quelques indications au niveau du son puis on s’est laissés porter par des agencements de voix et de mélodies.
Gilles : Domi évoque le cadre sonore qu’on s’est choisi, une fois satisfaits avec deux morceaux qui fonctionnaient très bien avec nos voix : comme on tenait les ingrédients magiques, on s’est dit qu’ils seraient notre matière première pour travailler les chansons à venir. On croise des synthés MS 20 Korg, Oberheim, des boîtes à rythmes dont la fameuse Linn Drum (programmée ou jouée), parfois, guitare, basse… Ces ingrédients, tu les retrouves effectivement chez Visage, Gary Numan, Depeche Mode, Human League, Tears for Fears, Taxi Girl, pour ne citer qu’eux. Pour les ressemblances physiques, en plus de Macca, on me cite souvent aussi Johnny Marr, ou Al Pacino… Et pourtant, je n’ai ni joué dans les Beatles, ni dans les Smiths, ni dans Scarface. Étonnant, non ?
Shebam : Ce qui frappe aussi, c’est le sens de la mélodie. Question de novice, cela s’apprend-il ? Quelle en est l’alchimie ?
Dominique : Pour moi, pas de règles là-dessus. On a des couplets, des refrains, des ponts, des bouts d’idées qu’on teste jusqu’à ce que ça nous plaise. Des fois, des mélodies s’en dégagent, des fois, c’est l’inverse, on change des accords parce qu’une mélodie nous plaît davantage.
Gilles : Oui Domi a raison sur le processus. Il y a donc à la fois de la construction consciente, mais aussi de l’aléatoire. C’est cet aléatoire qui est fascinant. Quand c’est réussi, et qu’on est comme surpris, ou dépassés par le résultat final.
Shebam : Qui chante ? Et pourquoi ce choix s’est-il imposé ?
Dominique : Ben justement, la première chanson qu’on a composée, on a chanté tous les deux parce que le texte permettait de se répondre, et le mélange des voix nous a tellement plu qu’on a gardé cette idée.
Gilles : Tu vois The Cars ? Tears for Fears ? Qui chante ? Pour chacun de ces groupes, ils ont deux chanteurs. Ça se répond et se mélange tellement harmonieusement. Parfois, sur tel morceau, c’est l’un, pour tel autre c’est l’autre, parfois les deux ensemble. Chante celui (ou ceux) qui semble le mieux adapté(s) à la vibration.
Shebam : Comment travaillez-vous ? Y a-t-il une répartition des tâches en mode charge mentale ? Comment gère-t-on cela, surtout quand on est frères ?
Gilles : Pour cet album, le processus s’est fait à distance, avec d’abord une démo de Domi, souvent assez avancée, à base de synthés, avec le plus souvent une proposition couplet/refrain/voix. Ensuite, il y a une phase où ça fuse un peu de partout, on essaye, on triture, on ajoute, on retranche. Le travail de mélodie autour des voix principales, notamment les adaptations des accords aux ajouts vocaux, fait que nous aboutissons à quelque chose de plus avancé, voire définitif. À quelques exceptions près, j’ai écrit les textes des morceaux, souvent assez spontanément. Pour résumer : d’arrangement en arrangement, on aboutit au morceau final. Il n’y a pas de règle, puisque quelquefois le résultat final est proche de la démo, et d’autres fois, moins.
Shebam : Question ego trip : qui est l’aîné, qui est le leader ?
Dominique : Je suis l’aîné, donc, Gilles me doit le respect… mais c’est tout. Le leader, c’est nous !
Gilles : Pas mieux ! Un “two-headed monster” version pop wave. On aurait dû s’appeler “The Fab Two”.
Shebam : Compte tenu de la tracklist et de la courte durée du disque, on imagine qu’il aura une suite. Je me trompe ?
Dominique : On espère bien et c’est prévu. En fait, comme première étape, on s’est lancé le défi de sortir chaque mois une chanson, depuis février, sur un réseau « social » bien connu. Et on a tenu le challenge. Puis, par rapport à la durée, on souhaitait sortir un vinyle, et comme vous le savez, plus c’est court, plus le son peut avoir un meilleur rendu… donc…
Shebam : Gilles, tu as un engagement politique en tant que citoyen totalement assumé, et qui force le respect. Je ne sais pas pour Dominique mais on vous imagine tous les deux entiers, sincères, sans concession. Cette expression citoyenne pourrait-elle un jour se traduire en chansons ?
Dominique : Elle s’exprime déjà notamment dans Velvet Revolution. Mais effectivement, il se pourrait bien que le thème du prochain se dégage déjà de ce que qu’on est train d’enregistrer. La question est de trouver chaque fois des angles intéressants, pas forcément frontaux.
Gilles : C’est vrai. Et paradoxalement, je trouve qu’il y a très peu de chansons engagées réussies. Pas facile de ne pas pontifier, d’être lourd. On s’en est bien sortis je trouve pour Velvet Revolution. À suivre donc.
Shebam : Gilles, Dominique, quelle île déserte emporteriez-vous chacun dans un disque ? J’exige deux réponses, ou j’appelle Castaner. Je déconne, il est à l’heure actuelle au Noto en train de danser sur She Moves On The Dancefloor en rêvant à Brigitte Macron !
Dominique : Un Bowie et un Queen pour moi… euh, Wallis et Futuna sinon.
Gilles : Une Belle-Île-en-Mer (ce n’est vraiment pas son meilleur titre, mais j’aime Voulzy) dans le vinyle de Sonates pour piano et violon de Mozart, par Arthur Grumiaux et Clara Askil. Contre ça, les policiers ne peuvent que poser leurs armes et boucliers à terre, non ?
Shebam : On inverse les rôles. Posez-moi une question.
Dominique : Où vas-tu chercher ces questions… Je veux dire, celle de la fin, surtout ?
Shebam : AHAHAHAH ! Je prends ta question pour un compliment déguisé, donc merci ! Disons d’abord que dans un univers ultra-concurrentiel, il faut se démarquer. Avoir quelques questions plus originales le permet plus facilement. Enfin, si le but d’une (bonne) interview est la recherche de sincérité, le fait de surprendre l’interviewé est assurément un moyen d’y parvenir. La question de l’île déserte que l’on emporte dans un disque est ma favorite 1/parce que je crois en être le père officiel et 2/parce que chaque personne qui y répond le fait à sa manière, que la réponse soit courte (en mode, je me débarrasse d’une question qui m’embarrasse) ou longue. Parfois, les gens sont très inspirés. C’est le but.
Gilles : Connaissant le critique, l’historien de la pop music que tu es, à quand le passage à l’acte ? Tu sors ton album quand ?
Shebam : Jamais. Jamais je ne me permettrais, n’ayant aucune technique et aucun talent pour ça. Mais ta question soulève un point important dans l’Histoire de la critique rock : les critiques musiciens. Lester Bangs a vaguement sorti un disque punk. Est-il intéressant ? Je ne l’ai jamais écouté parce que ce rôle-là me paraît un peu usurpé. En même temps (héhéhé), pour comprendre ce sur quoi on écrit, c’est-à-dire la musique, il faudrait la connaître dans ses arcanes les plus profondes, donc en faire. Mais je trouve ça déplacé, illégitime même. En revanche, soigner la musicalité des mots quand on écrit sur un album ou un artiste, là c’est possible et cela devient intéressant. C’était la vocation de la critique rock quand elle a été inventée par les premiers pionniers. Traduire avec des mots l’émotion d’un disque. C’est déjà un objectif impossible à atteindre compte tenu de mes brillants mentors !
Mondial Pokett, Catch the Wave if you can (Autoproduction)
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https://www.youtube.com/watch?v=2hK0VSAOqSM
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