Caravan, bataille de Waterloo

par Adehoum Arbane  le 18.02.2020  dans la catégorie C'était mieux avant

Toujours nous sommes sommés de choisir notre camp. Gauche ou Droite. Progressistes ou Populistes. Blondes ou brunes. Beatles ou Stones. Immédiateté ou avant-garde. Punk ou Prog. Comme tout cela est vain. Futile. Idiot. Cette injonction va par ailleurs dans le sens de la vieille querelle qui vaut au rock progressif d’être qualifié encore à ce jour de pompier, maniéré, boursoufflé. Reproche qui n’est pas totalement infondé lorsqu’on observe certains groupes, et qui plus est dans ces dernières années où le genre commençait sa lente agonie – avant de renaître la décennie suivante sous l’impulsion de formations nouvelles. Une scène va surgir du creuset des sixties qui jouera par la suite un rôle important – quoique confidentiel – dans l’histoire du Prog. Celle-ci va bien évidemment déjouer les pronostics, dérouter avant de rallier des fans toujours plus nombreux en réalisant la promesse impossible de réconcilier éclat mélodique et sophistication. C’est l’école dite de Canterbury. 

Deuxième formation née dans le giron des Wilde Flowers – la première est Soft Machine – Caravan représente dès 1969 une tentative encourageante en ce sens. Le groupe connait une carrière en tout point respectable et proposera durant la première moitié des seventies ses œuvres les plus remarquables. Mais c’est leur quatrième album, Waterloo Lily, qui mérite aujourd’hui un éclairage. À la manière d’une Ghost Track à côté de laquelle on risque de passer, il s’agit bien d’un album fantôme dans la discographie du jeune groupe et ce, à plus d’un titre. Premièrement, il succède à If I Could Do It All Over Again, I'd Do It All Over You et In The Land Of Grey and Pink, véritables pièces maîtresses. Deuxièmement, c’est l’album du départ de Dave Sinclair, membre fondateur de Caravan et plume de Nine Feet Underground, qui rejoint alors Wyatt au sein de Matching Mole (ce dernier fera son grand retour l’année et l’album d’après). C’est aussi l’album marquant l’arrivée de Steve Miller, organiste ombrageux et orienté jazz. Enfin, c’est un objet en apparence peu avenant. La pochette n’enchante guère, c’est un euphémisme, au regard des précédents artworks. Derrière la boutade, il faut bien comprendre que l’esthétique développée par le groupe est totale et que les pochettes ont toujours eu le bon goût de suggérer les trésors mélodiques que renfermaient les disques. Et pourtant, malgré tout cela… 

Waterloo Lily offre plus qu’il ne laisse présager. Remisons de côté Nothing At All/It's Coming Soon/Nothing At All (Reprise) qui est sans doute le morceau le moins intéressant, sorte de crossover improbable entre riff blues et envolées pseudo jazzy bien loin de la magie déployée jadis (un an avant) par Caravan. C’est un disque finalement court (en comparaison des albums de Yes ou de Genesis) dont les chansons, car oui nous pouvons parler là de chansons, séduisent d’emblée. À l’image du morceau qui donne son titre à l’album. À lui seul, il synthétise plusieurs des grandes qualités de Caravan. Un sens inné de la mélodie, de celles qui accrochent dans les premières secondes. Une rythmique toute en élasticité que l’on doit à Richard Sinclair, bassiste très volubile. L’homme a plus d’une corde à son arc, disons-le. Il s’avère un très bon chanteur à la voix chaude qui avait fait des merveilles sur les chansons de In The Land Of Grey And Pink. Les amateurs s’en souviendront. Et puis il y a les paroles. Écoutez l’extrême musicalité de la langue anglaise sur le premier couplet : «The view – Sixth Avenue/The legs of Waterloo Lily/Black tights for dark nights/On a trip through Picadilly/If you knew the kind of glue/She gums her eyelids with/Realise, on those eyes/That's a gum you'd rather not use/From a jar, in the house of Waterloo Lily/Painted red, the double bed/The biggest in the city/Especially sprung, hung undone/To stimulate delight/Sex machines seem but clean/She does things, you call her true.» Quant au refrain il finit sur cette rime délicieuse : «Lily Waterloo/Picadilly blue.» On en oubliera presque le long solo de clavier même si l’utilisation d’un Wurlitzer donne au morceau un groove imparable. 

La suite vaut le déplacement. Après un Nothing At All long de dix minutes et vingt-trois secondes, Caravan embraye sur le délicieux Songs and Signs, étonnement écrit par Steve Miller et chanté par Pye Hastings doublé de Richard Sinclair sur les chœurs. Pye Hastings n’est jamais apparu comme la figure centrale du groupe, cela étant, jamais le groupe n’a proposé de mettre l’un de ses membres plus en avant comme leader. Chez Caravan, le collectif prime. Cependant le guitariste demeure un chanteur très touchant et un très bon songwriter – vous le verrez plus bas. On l’a souvent qualifié sur le plan vocal de clone de Robert Wyatt ce qui semble injuste (la posture du presque l’autre) mais pas inexact pour autant. Jouant dans le même registre, sa voix de porcelaine apporte une couleur très anglaise, une douceur à contre-courant des vocalistes hurleurs si chers à la décennie seventies. Il le prouve sur l’enjoué Aristocracy placé en ouverture de la face B, autre exemple du savoir-faire de Caravan qui, dans son style si particulier, n’a pas d’équivalent. Confiant, le groupe enchaîne sur la deuxième suite à tiroirs, The Love In Your Eye/To Catch Me A Brother/Subsultus/Debouchement/Tilbury Kecks dont le premier segment, malgré une orchestration light mais inutile, enchante par son thème ultra mémorisable. Hormis la deuxième partie To Catch Me A Brother qui permet au frère de Pye, le génial flûtiste Jimmy Hastings de s’illustrer avec maestria, le reste lasse un peu. L’album s’achève sur The World Is Yours qui émeut d’emblée. Ce n’est pas tant son introduction où Pye joue de la guitare électrique comme s’il s’agissait d’une acoustique. C’est n’est pas tant sa voix émouvante que ces paroles si bêtement simples mais simplement universelles : «And I love you/I've never loved someone like I do/I love you/The world is yours if you want me to.»

Malgré les réserves de l’époque comme d’aujourd’hui, Waterloo Lily a ce charme discret mais évident de l’Angleterre que l’on aime. Musicale et romantique en diable. L’année d’après, malgré les changements de line-up, Caravan reproduira la formule à l’identique avec ces morceaux empesés – c’est l’arrivée des synthés ! –, ces chansons fédératrices – le duo gagnant de Memory Lain, Hugh/Headloss –, ces sucreries indéniablement aimables et plaisantes – Surprise, Surprise et The Dog, The Dog, He's At It Again (si l’on fait abstraction de son solo de trop). Après, le groupe se perdra un peu mais nous lui pardonnons tout ! De 69 à 73, c’est la martingale des années de plumes, des chansons formidables qui ne nous quitterons jamais. Les chiens de la critique peuvent aboyer, Caravan continue de passer. 

Caravan, Waterloo Lily (Deram)

waterloo-lily.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=7Bo-Dr_Qkg4

 

 

 

 

 

 

 


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