Demain est une autre nuit n’est peut-être pas une ode aux clubbers comme on serait tenté de le croire. C’est plus une variation sur le temps qui passe (et qui reste ?) ; la nuit y est vue comme la fin de toutes choses. Son créateur, Alex Rossi, est un artiste qui navigue dans nos scopes depuis bien longtemps, un peu comme un camarade que l’on fréquente sans vraiment bien le connaître. Il sort paradoxalement ce premier album après tant d’années passées à le concevoir, le peaufiner. Du coup, ce hasard-là nous raconte une autre histoire.
Celle du temps nous l’avons dit mais dans toutes ses dimensions. Il y a d’abord ces instants figés de l’hédonisme heureux, insouciant dont on sait à quel point ils demeurent provisoires. Ils s’incarnent dans cette idée très italienne du plaisir, celui de la chair, toutes les chairs que l’on dévore, de l’amour qui en est le frère jumeau et celui de la fête. Pour lui donner corps, Alex Rossi a choisi des hymnes. Ils nous arrivent, frais et clinquants, superbes et triomphants. Des mélodies vicieuses – chantées en italien – parce qu’elles restent, campent sur leurs positions. Il y a d’abord et bien évidemment Tutto Va Bene Quando Facciamo L'Amore. Inutile de traduire, on aura compris. Texte préliminaire, sobre et efficace comme une trique. Musique répétitive, charmeuse, aguicheuse. Italo-Disco disait-on à une autre époque. Domani E Un'Altra Notte et Faccia a Faccia suivent la même trajectoire insidieuse, long tapis rouge stellaire menant droit à la piste. La Famiglia est l’occasion de citer camarades et contributeurs sans rompre le rituel de la danse.
Mais Alex Rossi a décidé d’aller plus loin. L’artiste débute un voyage entre présent et passé, une émouvante promenade stendhalienne non pas dans Rome, encore que, mais à travers ce pays de cœur (La Gente Del Mio Cuore) pas tout à fait le sien selon ses dires et qu’il doit partager avec un autre. La France et l’Italie aux racines communes. Il nous prévient dans le court préambule de Il Nostro Destino : « Je ne suis pas italien, je suis français mais MON nom est italien pour MON grand-père. Je ne suis pas italien mais MON cœur est italien de Rome à Venise. Et notre chemin est notre destin. » Cet album somptueusement mis en musique (Merci à Romain Guerret et à Arnaud Pilard), aux compositions éternelles (Voir Venise), est une carte postale amoureuse – l’amour physique n’est donc pas sans issue – où les chaînes montagneuses renferment, telles un décolleté (la pochette, mon dieu, cette POCHETTE), d’autres trésors. Citons pêle-mêle et au-delà des monuments de marbre d’autre statuts : Marcello et Anita, Gregory Peck et Audrey Hepburn, et plus proche de notre culture populaire, Venantino Venantini et Alida Chelli. Il y en a d’autres.
Au fond, tout dans ces chansons nous plonge, pas tant de la nostalgie, mais dans une profonde réflexion. Temps perdu puis retrouvé – concept éminemment Proustien –, destinées contrariées. Avons-nous bien agi au cours de notre existence ? Car nous le savons plus que tout : la vie ne retient pas ses coups (« Si mon corps se noie et me trahit. Si le temps passe et qu’il me flétrit. Si ma vision perd la raison »). Doit-on céder au doucereux poison du regret ? Vaste question à laquelle Alex Rossi tente une réponse, disons deux. Deux lettres poignantes envoyées par son arrière-grand père, Sebastiano Rossi, à ses fils qui firent le choix d’immigrer dans le Gers. Avons-nous fait les bons choix mais surtout avons-nous réalisé nos rêves ? S’agissant d’Alex Rossi, le sien est dorénavant gravé. Mais Alex Rossi à force d’attendre aura déjoué l’implacable règle de la pop qui veut que l’on enregistre son chef-d’œuvre dans sa prime jeunesse. Est-ce cependant le dernier comme il le chante avec morgue et élégance dans L'Ultima Canzone, d’une voix parfois juvénile ? En 2020, l’âge de la maturité n’est pas nécessairement une conclusion. On peut maintenant vivre deux vies en une. Au taquet à Hautacam, quoi. Buone notizie.
Alex Rossi, Domani E Un'Altra Notte (Kwaidan Records)
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