Il est de ces défis un peu stupides que l’on relève malgré tout avec une certaine jubilation. Les tops en font partie, d’autant plus quand ils explorent des aspects plus pointus et quand, cerise sur le gâteau pop, ils multiplient les contraintes absurdes. Ici, ce sont les morceaux les plus longs de l’histoire du rock (sixties) qui nous intéressent. Mais attention ! Les choses se compliquent puisque seules les créations américaines ont été prises en compte. Exit donc le prog rock anglais. Trop facile. Mieux, elles doivent entrer dans un silo d’années, de 1965 à 1968, à l’époque où les morceaux courts et nerveux avaient la faveur des groupes et où les compositions les plus aventureuses ne dépassaient pas – globalement – les sept minutes. Ont été également écartés les titres les plus connus, ou en tout cas les plus attendus, comme The End des Doors même si ce dernier coche bien évidemment toutes les cases. Enfin, last but no least, ce top dix compte onze chansons, la dernière du classement – la première que vous lirez – étant signée du groupe canadien Guess Who. Petite précision avant de commencer, l’ordre selon la durée a été privilégié mais vous constaterez qu’une et une seule se détache par son statut, sa qualité, les émotions qu’elle charrie.
11-The Guess Who, Friends of Mine (10’05’’ - 1968)
Avant de signer ce brûlot rock anti-MeToo avant l’heure qu’est American Woman, très ironiquement fredonné par le pauvre Kevin Spacey dans American Beauty, les Guess Who proposèrent à leur début un intéressant mélange de pop country rock dans la lignée du Buffalo Springfield. Figurant sur leur premier Lp, Wheatfield Soul, Friends of Mine se distingue par sa durée et sa tonalité. Tantôt inquiétant, tantôt sexy, il cache un morceau de bravoure dans le morceau, soit deux minutes trente d’un Spoken Words incantatoire signé du très morrisonien Burton Cummings.
10 -Spirit, Elijah (10’49’’)
Elijah n’est sans doute pas la composition la plus originale de Spirit et plus globalement du rock West Coast sixties. Et pour cause, il s’agit d’un instrumental et de surcroit teinté de notes jazzy. Cependant il est emblématique d’une époque où l’on osait déjà tout, où la liberté primait sur la rationalité. Cette démonstration de douceur offre l’occasion de prouver à quel point Spirit était une formation différente, subtile et classieuse.
9-Bloomfield, Kooper, Stills, Season Of The Witch (11’08’’ - 1968)
Super Session, annonce l’album ! Il faut à raison se méfier des disques de jams. Exception faite de cet enregistrement qui a le bon goût de multiplier les reprises cultes – et dans tous genres possibles, blues, psyché, pop – dont ce Season Of The With incantatoire et sexy, tout de cuivre vêtu, et dont l’intro vous arrachera des Wah-Wah admiratifs.
8-Bob Dylan, Desolation Row (11’21’’ - 1965)
Attention, cas à part ! Avec Dylan, nous entrons dans une autre dimension du morceau long. Ici pas de psychédélisme, encore moins de breaks sauvages, de rupture de rythme savamment distillée, non. Désolé, Dylan donne dans la ballade épique, monolithique, mais poétique. Les onze minutes et vingt et une seconde lui servent à installer cette histoire un brin complexe, en référence à une rue de New York étalant ses bars à prostitués et autres Peep Show. Dylan confessa en interview avoir été influencé par Ginsberg.
7-The Mothers Of Invention, Return Of Son Of Monster Magnet (12’19 - 1966)
Dès son premier album en 1966, Zappa décoche en guise de flèches acérées deux morceaux expérimentaux en série, Help I’m A Rock – repris par le WPAEB – et The Return of the Son of Monster Magnet, en référence à une publicité pour un jouet. Si on tend l’oreille, on entendra peut-être Dr. John et Van Dyke Parks. Plus globalement, ce patchwork free rock dantesque, aussi implacable qu’une lessiveuse tournant à plein régime, aurait aussi influencé, selon le biographe des Beatles, leur morceau de 67 resté inédit, Carnival of Light. Pal mal pour un début.
6-The Butterfield Blues Band, East-West (13’13’’ – 1966)
East-West qui clôture le deuxième album du BBB n’est pas à prendre à la légère, et pas seulement pour ses treize minutes ondoyantes. C’est avec Roller Coaster du 13th Floor Elevators le titre – dans tous les sens du terme – qui a posé les bases du psychédélisme US, dans le son comme dans l’esprit. Ce que l’on pourrait appeler la matrice de l’acid-rock, même s’il tire ses racines du Chicago Blues. De façon plus pragmatique, il conviendra idéalement à celles et ceux qui n’aiment rien tant qu’à se déhancher au rythme des contorsions indiennes.
5-Serpent Power, Endless Tunnel (13’14’’ - 1967)
Ce morceau justifie à lui seul l’absence de The End des Doors. Signé Serpent Power, un groupe de San Francisco leadé par le poète David Meltzer, Endless Tunnel porte bien son nom qui nous fait entrer dans une autre dimension, un psychédélisme sombre qui doit autant à la guitare acérée, au farfisa qu’au banjo éléctrifié d’un autre poète de la côte ouest, J.P. Pickens. Ici Mister Conductor répond au Driver de Morrison. Pour le reste, dans ce tunnel-là, seul le cerveau, bien que largement embrumé, continue de capter. Enfin, pour le moment…
4-The Seeds, Up In A Room (14’42’’ - 1966)
Up In Her Room est censé être une relecture du Goin’ Home des Stones sur Aftertmath. Ce qui n’est pas totalement faux. Malgré tout, on retrouve dans cette pièce – !!! – tous les codes habituels, soit le cahier des charges dûment rempli d’une chanson des Seeds. Wurlitzer, fuzz bourdonnante, rythmique métronomique telle un décalque habile de Pushin’ Too Hard, sans oublier le chant aigu de Sky Saxon qui tient la corde tout du long, sans jamais perdre son souffle : on parle autant du chanteur que du morceau ! C’est dire.
3-Iron Butterfly, In A Gadda Da Vida (17’11’’ - 1968)
Bien que placé en troisième position du classement, In A Gadda Da Vida est premier dans notre cœur. Et pour de nombreuses raisons. Sa perfection formelle – rien n’y est de trop – sa durée impressionnante, son orgue impitoyable nous faisant voyager de la Californie du Sud à l’Égypte, sa raideur, son aspect hautement dramatique. Autant de caractéristiques qui lui confèrent sa puissance iconique. Le cinéaste Michael Mann saura s’en souvenir au moment de monter la scène finale de Manhunter. Utilisant judicieusement une version resserrée de huit minutes, Mann va ainsi magnifiquement mettre en image la rencontre inéluctable entre un profiler aussi perspicace que torturé et un tueur en série cruel et mélancolique. Et Bam ! Deux chefs-d’œuvre pour le prix d’un !
2-The Velvet Underground, Sister Ray (17’27’’ - 1968)
Sister Ray, possiblement le morceau le plus dingue de toute l’histoire du rock, celui qu’on écoute à de rares moments, mais jamais en allant ou en revenant du boulot. La chose est purement impossible. Son crade de la guitare et de l’orgue, batterie quasi prussienne, voix de Lou surnageant littéralement, essayant de se frayer un chemin dans ces méandres électriques et touffus, folie sonore dont il se rappellera sans doute à dessein au moment de pondre son Metal Machine Music. La seule question à se poser avant d’appuyer sur play : serez-vous capable d’aller jusqu’au bout de ces dix-sept minutes et vingt-sept secondes infernales ?
1-Love, Revelation (19’04’’ – 1966)
Disons-le, Love invente avec Revelation le morceau de face. Pas de fin de face. Mais celui qui occupe bien une face entière. Sans doute de trop à en juger par les douceurs précédentes, Revelation achève, et c’est le cas de le dire, ce Da Capo presque aussi fondamental que Forever Changes. Ça commence par un clavecin en saut de cabris pour enchaîner direct sur un pur rock’n’roll sauvage – le chant d’Arthur Lee, l’harmonica abrasif et la guitare folle – qui s’étalera sur plus de douze minutes avant de laisser place à un chorus de saxo coltranien offrant au titre une voie de sortie sans péage vers un trip oriental du plus bel effet. Une révélation, on vous avait prévenu !
https://www.deezer.com/fr/playlist/6774359864
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