Il ne faut pas confondre codes et références. Il fut un temps où un majordome présentait ses références à ses futurs employeurs. En regard, les codes paraissent plus artificiels, règlementaires. Dans le domaine si vaste de la pop la distinction prévaut. L’Épée en est bien évidement dotée. À l’origine de ce groupe, flambant neuf comme une lame de Tolède, Emmanuelle Seigner, Marie et Lionel Liminana et Anton Newcombe. Eux aussi ont leurs références qu’ils empruntent, tels des Tarantino rock, au passé. Le leur. Chacun peut s’enorgueillir d’avoir emmagasiné une somme de souvenirs, images, sons habilement saupoudrés sur les dix chansons que compte ce premier album. Cette expérience infuse l’ensemble du projet, à commencer par le patronyme : L’Épée.
C’est ainsi qu’autrefois, on accordait un sens particulier aux expressions, surtout quand elles naviguaient entre le langage académique et l’argot populaire des quartiers. On disait de quelqu’un d’habile, de fort qu’il était une épée. Un cador, quoi. L’épée évoque aussi le symbole de la confrérie, table ronde des meilleurs représentants du rock en vigueur, et qui plus est worldwide. Passons au titre du disque, Diabolique. Il renvoie autant aux fumettis de leur enfance qu’au célèbre long de Henri-Georges Clouzot. Là aussi il témoigne d’un savoir-faire, d’un art. Il est vrai que ce disque est d’une efficacité diabolique. Mais au-delà des formules toutes faites, des astuces et autres jeux de mots que l’on pourra faire par tentation – et par facilité ? –, nos artistes ayant tout juste dépassé la cinquantaine ont toute latitude et la légitimité pour explorer des terres jadis labourées par les meilleurs tenants du rock sixties. Considérons L’Épée comme un grimoire renfermant tous les secrets de la pop et du rock qui s’entremêlent dans ce disque, tout comme le français et l’anglais. Et dont les membres sont les dépositaires. Emmanuelle Seigner n’a pas seulement un pedigree rock (avec Ultra Orange), celle-ci a promené sa silhouette de géante au regard, hésitant entre l’émeraude et le vipérin, dans les films de Polanski – son mari – mais aussi chez Godard, Miller, Deville, Argento. Toujours présente, parfois distante. Jamais de trop. On ne présente plus les Liminanas, Marie et Lionel forment un couple dans la vie comme en studio et incarnent une vision d’un rock français garage sans être bistrot. Anton Newcombe, enfin. Créateur du Brian Jonestown Massacre, création qui ne serait peut-être rien sans le rockumentaire DIG! mais qui est tout de part une discographie dilatée, en forme de panthéon réunissant Chocolate Watchband et Stones. Tous ayant appris de leurs erreurs – dixit Emmanuelle Seigner – ont mis le meilleur d’eux même dans leurs chansons. Soit des guitares énormes ou tordues, voire les deux, des tambourins aussi maléfiques que faméliques, omniprésents jusqu’à l’extase, des instruments exotiques rappelant que le psychédélisme se joue des frontières – terrestres et spirituelles –, jusqu’à cette batterie derrière laquelle Marie Liminana agit en prêtresse implacable, prenant littéralement le contrôle du groupe. Les chansons maintenant. Là aussi, la plume est aussi forte que l’Épée même si on navigue dans un ailleurs flou, bourdonnant, loin des baladins narcissiques de Laurel. Sur Une lune étrange, titre français, Emmanuelle chante en angliche la Queen of Fuzz tout en feignant de s’en foutre. Lou et surtout Dreams, qui inverse la tendance, optant pour un titre anglais alors que le français est de rigueur, éclate à nos oreilles en tube définitif. Écoutez les paroles, assez savoureuses. La Brigade des maléficesdémarre en force comme un morceau du 13th Floor Elevators pour migrer en spoken words version The Gift du Velvet – on l’avait déjà écrit ! Sur On dansait avec elle, L’Épée se transforme en cimeterre. Merci à Bertrand Belin au passage, pour la contribution et la co-interprétation. Même combat pour Grandequi ferait presque penser à la BO de More, sans les claviers. Nous l’avons dit, le psychédélisme est un voyage. Enneigé façon Spector, Springfield 61possède le goût suave des sucreries mid-sixties et que les français savaient bien reprendre, comme à l’époque de Clothilde. Ghost Rideret Un rituel inhabituelsont les deux versants du lysergisme sur microsillons, l’un obscur, l’autre aussi clair qu’une aurore. Last Picture Show– le titre est bien choisi – referme énergiquement ce Diabolique si divin.
Il ne s’agit pas de faire passer cette expérience – mot prenant tout son sens dans ces quarante et intenses minutes – pour le chef-d’œuvre que plus personne n’attendait. Non. Mais on peut dire que jamais un groupe français n’avait sonné aussi bien, aussi sale (au sens noble du terme) et Diabolique serait un peu – comparaison n’est pas raison – son The Wilde One à lui. Voyez comme nous sommes loin de tous ces vaines tentatives rockisantes et au fond un peu trop Téléphonées pour être honnêtes. Les Liminanas ont confessé que l’enregistrement fut rapide et on les croit. Ce n’est pas dérageant en soi. Car ces artistes ont pour eux les kilomètres au compteur de l’existence. Ce sont les années qui les ont adoubés, d’où L’Épée. Comme quoi tout se tient. Qui peut en dire autant de nos jours ?
L’épée, Diabolique (Because Music)
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