Micro Pernice ?
Socrate aurait aimé la pop, cette corne d’abondance qui nous a tous fait dire un jour : « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. » Affirmation valable que l’on soit bloqué provisoirement au temps de l’adolescence, où toutes les découvertes vous émerveillent, ou arrivé au stade quasi finale de la maturité, ce moment des plaisirs blasés. Et pourtant, après quelques décennies d’écoutes énamourées, nous avons retrouvé notre enthousiasme d’antan ! Huitième album des Pernice Brothers Spread The Feeling est à l’origine de cette gageure. Contrairement à son patronyme, Pernice n’est pas un perdreau de l’année. De cette fratrie réunissant Joe, l’âme et le songwriter du groupe, et Bob à la guitare rythmique, est né un groupe et une série d’albums dont on apprendra qu’ils avaient déjà un fan club. En poursuivant les recherches, on découvre qu’ils ont débuté la carrière à la mi-temps des nineties, faisant suite à un autre projet musical appelé Scud Mountain Boys. On observe ensuite que ces deux groupes ont signé chez Sub Pop pour un temps, gage évident de qualité, signe qu’on peut y aller sans crainte. Enfin, on peut ajouter un deuxième blason à Joe Pernice, soit un prix littéraire attestant que les vignettes musicalisées posséderont ce qu’il faut d’authenticité et de poésie pour être écoutées puis entonnées.
Posons-nous sur Spread The Feeling. Déjà la pochette attire les regards. Et convoque au passage le photographe Hugh Holland ; on pense à sa fantastique série Locals Only. Spread The Feeling annonce-t-elle en guise de profession de foi : répandre le sentiment. Ouch ! Quelle belle promesse. Qui plus est en onze chansons et trente-trois minutes. Vite expédié, c’est un coup de poing dans l’estomac mais qui jamais ne fait mal. Au contraire. Surtout le constat se fait évidence. Avec l’âge, nous sommes devenus, nous auditeurs, mélodistes. Pas au sens de créateurs mais d’amateurs de mélodies. Belles, cela va sans dire. Las des turpitudes formelles et autres bavardages, nous leur préférons les déclarations. Courtes, franches, universelles. Ainsi, cette dernière est-elle devenue une exigence, un sacerdoce même. Chercher dans le maquis des sorties annuelles et molles des albums regorgeant de ritournelles capables de s’imposer toutes seules comme si nous les avions maintes fois entendues. Et quand on les trouve, à chaque fois le charme opère. C’est me direz-vous le miracle auquel nous assistons depuis bien longtemps, depuis les Beatles, tenez ! Miracle dont Joe Pernice n’est bien évidemment pas à l’origine, se contentant d’en être le passeur consciencieux. Il fait cependant preuve d’un réel talent d’écriture. On préfère toujours les besogneux faisant surgir la lumière du magma informe de l’inspiration. Joe Pernice réussit à susciter cette sensation extinctive que l’on appelle l’émotion. C’est un peu l’effet kiss cool de nos vingt ans révolus. Non seulement nous espérons le graal mélodique, mais nous prions pour qu’il réveille en nous des souvenirs, des impressions profondes. Chose faite à l’écoute de Mint Condition, Lullabye ou The Devil and The Jinn. Qu’elles soient enjouées ou légèrement mélancoliques, ces chansons ont le vent de la fougue en poupe. Et même quand le musicien lâche sa guitare électrique pour le piano ou la guitare acoustique comme sur la sainte trinité Always in All Ways, Evidently So et Wither on The Vine – peut-être le plus beau morceau du disque. La deuxième face n’est pas en reste qui enchaîne les refrains magiques (Throw Me to The Lions, Skinny Jeanne). The Queen of California tutoie à nouveau les sommets, là où l’harmonie flamboie et les textes rayonnent. Pernice complète cet ensemble délicat de quelques enluminures sous la forme d’un orgue et d’une trompette en retrait, pudeur oblige. I Came Back et Eric Saw Colors viennent refermer ce très beau disque auquel les éditions CD et vinyles ajouteront leurs bonus, Frank Say et Unsound.
L’autre réussite de Spread The Feeling tient au fait que ni les époques ni les références – ces groupes que le singer-songwriter a dû écouter en boucle – ne s’y invitent trop ostensiblement. Pernice n’est pas un copiste mais un artisan. Oh bien sûr, les guitares douze cordes au son carillonnant et les moments les plus tempétueux où les soli sont de sortie – il y en a quelques-uns – reverront l’amateur de pop de plus de cinquante ans – est-il blanc, hétéro, mâle et dominant ? – sur des routes déjà balisées. Entre Jangle Pop et Grunge ! Mais remisons ces mots dans le coffre duquel nous les avons exhumés un court instant. En fait, peu importe les qualificatifs, adjectifs, dénominations savantes ou connues de tous : tout cela est parfaitement digéré, fondu comme un veux millésime. Alors ce huitième effort, micro Pernice ? Non un très grand.
Pernice Brothers, Spread The Feeling (Ashmont Records)
https://pernicebrothers.bandcamp.com/album/spread-the-feeling
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