Chroniquer un album de Led Zeppelin est devenu une banalité, une facilité même. On ne sort pas de sa zone de confort. Pratique. Rassurant. Et qui plus est quand il s’agit de ce IV si prisé. Pensez, un classique, leur chef-d’œuvre ! Huit titres au compteur, que des bombes – logique pour un zeppelin inflammable –, du lourd, du massif. Il est temps cependant d’oser poser un doigt de pied en terrain miné, là où les gardiens du temple, les tenants du « C’est aussi bien de nos jours » nous attendent. Aujourd’hui, qui a fait mieux ? Qui peut se permettre de fanfaronner en exhibant ostensiblement son morceau étalon, qui plus est inusable ? Tentons de répondre à cette épineuse question. Mais avant, retour en arrière sur la carrière du Gonflable jamais gonflant.
Car comme son nom l’indique, l’album IV n’est pas un coup d’essai. Led Zep a eu le temps de rôder sa formule bien avant leur premier disque – Page forge le son Led zeppelinien avec les New Yardbirds – qui contient déjà son petit lot de chansons imparables. On trouve du côté des voltigeurs Good Times Bad Times, Communication Breakdown et de l’autre, l’artillerie lourde avec You Shook Me, Dazed and Confused, How Many More Times. Sur le II, le quatuor passe la surmultiplié et on ne compte plus les titres légendaires. Si le III offre une digression intéressante en terre folk, il n’en propose pas moins une friandise hard (Immigrant Song), une balade épique (Since I've Been Loving You), une autre échappée braillarde (Out On The Tiles), sans parler du définitif That's The Way. Octobre 1970, Led Zep s’attèle à son futur album et pour cela, choisit de s’isoler à Headley Grange,demeure victorienne perdue dans le Hampshire. Le groupe utilise un studio mobile comme il est coutume en ces temps-là. La magie des lieux, l’ambiance qui règne alors, la liberté vont grandement inspirer les quatre musiciens pour le résultat que l’on sait. Sans immédiatement passer en revue les chansons, disons, mieux répétons à quel point ce disque est un monument. Une œuvre qui n’a pas attendu la lente maturation des années pour acquérir son aura mythique. Ce disque est bien évidemment fondamental, tout y est réussi, des compositions à l’artwork. C’est l’album que l’on retrouve systématiquement dans les étagères ou chez les disquaires. Dès la première face, la messe – fut-elle noire pour certains - est dite. Le groupe enchaîne avec la vélocité qu’on lui connait trois pierres angulaires de ses futurs setlists : Black Dog et son riff métallique tourbillonnant, l’efficace Rock And Roll et bien évidemment Stairway To Heaven. The Battle Of Evermore s’affirme d’emblée comme un morceau très touchant où la paire d’âme sœur Robert Plant-Sandy Denny fait des merveilles. Revenons à Stairway To Heaven. Dès la première seconde on reconnait la chanson, on sait la tempête d’émotions qu’elle va provoquer. C’est le magnum title dans le magnum opus. La chanson qu’on aura, tous, le plus entendu, volontairement ou non. Même chez un marchand d’instruments de musique de Wayne World, on ne peut plus jouer Stairway To Heaven pour les raisons précitées. C’est dire ! Et peu importe la rumeur – avérée - que Page ait piqué les premiers accords au Taurus de Spirit, la mélodie a été transfigurée. Quel groupe a son Stairway To Heaven qui est déjà à lui tout seul un A Day In The Life, un Rider On The Storm, un Sympathy for the Devil ? Personne, bien sûr. C’est l’évidence. Qui a nourri malgré elle le fameux « c’était mieux avant », non pas une attitude nostalgique et rétrograde mais l’acceptation qu’il y eu un âge d’or pop entre 1963 et 1979. Pour voir large. Oh, ne laissons pas entendre que les décennies suivantes n’offrir aucun joyau, ce qui est tout bonnement faux. Mais le hic vient des années 2000. Plus d’hymne, en version courte ou longue. Des stades, oui, mais pas de Chant Fédérateur. Universel. Immortel. Ce qu’est l’Escalier vers le Paradis. Face b, Misty Mountain Hop repart sur les chapeaux de roue avec son piano électrique. Four Stick sonne étrangement, c’est le titre le plus singulier de l’album, une sorte de Within You Without You sans les clichés orientalisants. Plant chante comme un muezzin ensorcelé. Le tapis de percussions auquel le mots Sticks fait référence, contribue à l’ambiance générale ainsi que le faux solo qui ouvre la dernière partie. Going To California est une pause diaphane où l’on y entend Plant prendre son souffle avant l’ouragan de When The Levee Breaks (une reprise très libre du blues du même nom écrit par Memphis Minnie et Kansas Joe McCoy). Ces quatre dernières compositions sembleront moins évidentes donc moins bankabled’un strict point de vue mémoriel, elles participent cependant à l’ensemble, le complètent sans le dépareiller. Mieux, elles enfoncent le clou statutaire. Légendaire !
Pour la petite histoire que tout le monde connait au passage mais qu’il n’est pas inutile de rappeler, le groupe voulait absolument sortir leur album avec une pochette sans nom et sans titre, juste une photo et pas la plus avenante ! Un vieux paysan figé dans la grisaille, ployant tel un roseau sous le poids de son fagot de bois. Un suicide commercial, aux dire du label. Led Zep IV se vendra à 37 millions d’exemplaires dans le monde. Pour tous ceux qui ignorent encore ce disque, courrez chez un disquaire (de seconde main). Et pour les autres qui écorchent encore l’orthographe du patronyme sacré, n’oubliez pas : Led Zeppelin avec deux "p" comme dans Rappel. Rappel de concert comme les 27, 28 et 29 juillet 1973. Mais aussi comme rappel à l’ordre. Led Zeppelin IV, chef-d’œuvre absolu.
Led Zeppelin, IV (Atlantic)
https://www.deezer.com/en/album/11591214
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