Si les Stones avaient été moins paresseux, moins sûrs de leur fait, moins drogués aussi, Their Satanic Majesties Request aurait été l’égal de Sgt. Pepper’s, un chef-d’œuvre absolu du psychédélisme britannique, même si celui-ci contient quelques perles. En approchant la perfection ils auraient pu sans problème aller jusqu’à l’appeler SF Sorrow. Sauf que cet album existe déjà puisqu’il a été enregistré l’année suivante, 1968 donc, par les Pretty Things, formation londonienne œuvrant dans le même registre de combo rock salement agressif. Rappelons-le, la bande à Phil May a livré, tout comme les Kinks pré-vaudeville, quelques morceaux d’anthologie trempé dans le sang, la sueur et les larmes. Midnight To Six Man reste l’archétype du hit éminemment séducteur quoique mâtiné d’une violence juvénile évidente. Il faut aussi revoir les quelques archives filmées montrant le groupe à la BBC. C’était en 66 et Phil May avait déjà des allures de Jim Morrison anglais, sensuel et félin. De 65 à 67, le groupe va honorer le bréviaire du parfait petit sauvageon électrique tout en opérant un glissement naturel vers une esthétique pop gentiment psyché. En attendant la suite.
Souvent qualifiés de clones voire de Rolling Stones du pauvre, les Pretty Things auront cependant déjoué toutes les prédictions avec SF Sorrow. Construit sur une trame narrative préfigurant les grands opéras rock dont Tommy est la plus noble figure de proue, SF Sorrow retient l’attention pour d’autres raisons qu’il convenait d’explorer davantage. Naguère ouvriers du rock, Phil May, Dick Taylor, Wally Waller, John Povey et Skip Allan – remplacé par Twink – vont largement profiter des moyens qui sont mis à leur disposition et feront même du producteur de EMI, Norman Smith, le sixième membre du groupe. Dans les studios d’Abbey Road, le groupe prend le temps de peaufiner son chef-d’œuvre. Il teste toutes les dernières technologies d’enregistrement et tire profit du potentiel du Mellotron. Sans doute plus homogène que Their Satanic Majesties Request, SF Sorrow jette un pont entre la sophistication de la pop psychédélique à l’anglaise (Private Sorrow) et la puissance d’un rock dont les américains maîtrisent les tables de la loi sur le bout des doigts. C’est bien là la force de l’album : des chansons remarquablement écrites, qu’on mémorise aisément, à la production léchée mais qui évitent l’écueil d’un psychédélisme de façade, mignonnet comme chez les anglais de Kaleidoscope. Ici, le sitar côtoie la fuzz (Bracelets versus Balloon Burning) ce qui n’empêche pas nos Jolies Choses de truffer leurs chansons de refrains fédérateurs et d’harmonies vocales délicieuses (Baron Saturday, The Journey qui sonne comme les Who sur Tommy). Le temps qu’ils s’accordent au travail les conduit à faire les bons choix, à jouer la diversité des climats qu’une œuvre pop induit logiquement mais sans tomber dans les facilités Stoniennes comme sur Sing This All Together (See What Happens). Death est ainsi un thème spectral, loin des poncifs hippies. De même, I See You se distingue par sa dissonance clairement affichée dès le refrain. Là encore, le concours de Norman Smith s’avère payant. N’oublions pas qu’il est l’homme aux manettes des premiers singles de Pink Floyd et de son premier album, si éloigné des béatitudes cosmiques déclinées à l’envi par le tout venant de la scène Freakbeat considérant le psychédélisme plus comme une opportunité qu’une vraie philosophie. Le final de I See You n’est d’ailleurs pas sans rappeler le « silence in the studio »et le « One of these days, I'm going to cut you into little pieces »du Floyd, mais avec trois ans d’avance ! Well Of Destiny constitue une transition idéale, quoiqu’étrange, avec le magnifique Trust (rien à voir avec le groupe de hard français). Idem pour Old Man Going dont les bizarreries et autres stridences placeront le groupe au-dessus du lot. Et que dire du final simple et poignant – le premier mot expliquant largement le second – de Loneliest Person.
Le génie des Pretty Tings aura été d’être tout à la fois Stones et Beatles mais avec l’insuccès des Zombies, détail qui les fera entrer directement au Panthéon des Grands Oubliés du rock sixties. Si SF Sorrow est leur Satanic + Sgt. Pepper’s, Parachute peut largement prétendre au statut mérité de Abbey Road bis, les envolées planantes en plus (Grass). Sur Parachute, les Pretty Things enfilent les perles si l’on ose dire, In the Square fera même l’objet d’un plagiat honteux de Radiohead au moment "d’écrire" Paranoid Android. Le groupe continuera de produire pendant de longues années, avec des loupées et des surprises heureuses (Silk Torpedo). Quant aux Stones, ils étaient passés à autres choses : ils voulaient légitimement retrouver le son pur des tout premiers Pretty Things.
The Pretty Things, SF Sorrow (EMI)
https://www.youtube.com/watch?v=2y-p2l0mDJY
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