Kevin Morby is God

par Adehoum Arbane  le 21.05.2019  dans la catégorie A new disque in town

Qui aurait cru que le scepticisme, voire la détestation générale à l’endroit de la Religion cacherait en fait un grand disque ? Résumé ainsi, on penserait à une œuvre prosélyte, ce que Oh My God, cinquième album de Kevin Morby en six ans, n’est pas. C’est avant tout un regard posé sur notre société contemporaine. Avec quelques piques – qui aime bien châtie bien – lancés vers cette Amérique si complexe, si bizarre que l’artiste observe pour mieux la dépeindre tout en s’efforçant de glisser dans son nouveau disque de très beaux moments en apesanteur, de grands traits de lumière. Car au fond, tout n’est pas blanc ou noir. Morby arrive à échapper aux simplismes dont notre ère post-moderne a trop souvent la triste habitude. Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, un peu de spiritualité à une époque où, malgré les apparences, nous n’aimons rien tant que nous réfugier dans un matérialisme salvateur. Mais qu’en est-il vraiment ?

Essayons de rassembler les morceaux et de résumer le propos. Stylistiquement, Oh My God se divise en deux catégories : les morceaux minimalistes, contemplatifs et les titres plus traditionnellement pop ou rock. Oh My God, Nothing Sacred/All Things Wild, Savannah et Ballad of Faye appartiennent à la première, No Halo, OMG Rock n Roll, Seven Devils, Hail Mary, Piss River, Congratulations, I Want to Be Clean, Sing a Glad Song et O Behold à la seconde. Dans le camp du dépouillement, à deux pas de la prière, on trouve des morceaux déconcertants mais extrêmement travaillés. Ceux-là donnent à l’album sa réputation lymphatique. Alors qu’il n’en est rien. Enfin, oui ces chansons sont lentes à en pleurer, non pas d’exaspération mais de beauté. Car le premier enseignement de Oh My God est que Morby choisit de prendre son temps à un moment précis de notre Histoire où tout va très vite. Trop vite. Morby crée de nouveaux espaces sans que ses chansons ne s’en trouvent vidées. Il y a des idées assez géniales comme cette relance à la moitié du premier morceau, non loin d’un jazz éthérée façon ECM. Même constat pour les percussions mates et les chœurs de gospel de Nothing Sacred/All Things Wild. Sur Savannah, on est irrémédiablement subjugués par les chœurs surgissant comme des couteaux et lacérant le rideau mélodique de la chanson. Quant à Ballad of Faye, on pourrait aisément la rebaptiser – dans la rivière Harlem, pourquoi pas – Ballad of Free comme le jazz du même nom. Piano et saxophone se disputent sur un timing serré en forme de parenthèse heureuse. De l’autre côté, Morby revient aux fondamentaux de ce qu’il sait faire, du songwriting trois étoiles, là encore produit avec une liberté qui tranche tout net avec l’air du temps où la fadeur règne. No Halo est le premier coup de poing du Lp. Seven Devils, Hail Mary et Piss River forment une trinité imparable, tantôt lente – le piano, instrument roi de la pop américaine –, tantôt enjouée et où les refrains évidents, clairs répondent toujours présents. Piss River est un sommet d’assemblage, entre la harpe en rivière de sons et les chœurs vaillants. OMG Rock n Roll et Congratulations sont des rocks d’inspiration fifties et qui font du bien au cœur ! Démarrant sur de fausses prières murmurées par femmes et enfants, Congratulations offre à notre songwriter le luxe de les absoudre, non sans une touche d’humour. I Want to Be Clean et Sing a Glad Song, contre toute attente, comptent parmi les morceaux les plus touchants, orgue en court-bouillon sur I Want to Be Clean qui enchaîne sur un magnifique refrain et la geste Kevinienne sur Sing a Glad Song. O Behold représente un idéal à lui seul, une fin parfaite, une conclusion ouverte. 

Oh My God est le disque de Morby qui ressemble le plus, pardonnez la comparaison facile, au Blonde on Blonde Dylan mais dans une version qui aurait été réenregistrée par Van Morrison période Astral Weeks-Moondance. Mais laissons de côté les références faciles. Morby est sans doute l’artiste rock le plus passionnant du moment, le plus moderne, celui qui évite de jouer les pathétiques faussaires pop. Il poursuit sa route avec la régularité du métronome sans se retourner derrière lui, sans toiser sa concurrence ; il n’en a tout simplement pas. Il ne cherche en rien la perfection, chaque album possédant ses moments forts et ses faiblesses. Ce qui fera dire à un observateur avisé que là est l’équilibre d’une œuvre digne de ce nom. Il avance, regardant droit devant. Spectateur en marche d’une Amérique génialement confuse. 

Kevin Morby, Oh My God (Dead Oceans)

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https://www.deezer.com/fr/album/90084492

 

 

 

 

 

 


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