Comme le vieux Léon de Brassens, Jean-Pierre Marielle s’en est allé au paradis de l’accordéon, de la moustache et des flacons. Il y a rejoint son camarade de toujours, Jean Rochefort. Et si les singer-songwriters Gary Ogan et Bill Lamb étaient les Marielle & Rochefort de l’Americana ? Période Calmos de surcroit ? La pochette de leur unique Lp qui les montre tels des pères peinards en pleine partie de pêche, sans la moindre nénette à l’horizon, accrédite cette thèse iconoclaste – pardonnez au critique de se jeter une fleur ! Une ambiance de mecs, décontractée, en paix avec eux-mêmes et en osmose avec la nature. Bien évidemment, il ne faut pas se fier aux apparences.
Car si l’on en juge à la tracklist où le mot « love » apparait trois fois, la chose féminine n’a pas totalement abandonné nos deux Oréganais. Les histoires de nanas sont indissociables de celle du rock. Des flirts du lycée à l’amour de toute une vie, les rockeurs cachaient sous leur carapace de cuir une sentimentalité à fleur de peau. Cela dit, nos deux héros français, malgré leur échappée belle loin de leurs belles, n’en pensaient pas moins. Ainsi, il faut écouter Rochefort alias Albert déclarer, dans un véritable cri du cœur : « Seulement il y a un truc un peu plus dur, c’est de nous plaire, de nous séduire, qu’on ait envie de se retourner sur votre passage. J’aime autant vous dire que c’est pas en vous boudinant dans des tenues léopard et en vous parfumant avec Djébel de chez Bigeard qu’on va vous inviter pour un tango. » Mais c’est sans doute Blier père, en bon curé de campagne, qui résume le mieux le propos lorsqu’ils s’adresse à leurs femmes éconduites :« Et surtout pas de contrariété ! »Bill Lamb reprend à son compte le précieux conseil. Pour renaître comme le suggère Reborn. Ce sentiment avait été esquissé dès l’entame par Gary Ogan. Les deux songwriters se racontent ainsi avec sincérité, déballant tout sans simagrée mais avec une forme de pudeur qui force le respect. On est loin de l’accusation de masculinisme. Car derrière la virilité de façade – et encore –, il y a l’histoire de ces deux copains de lycée, passionnés de musique, et qui ont déjà à leur actif un nombre suffisant de compositions pour passer une audition. Cela tombe bien, un ponte d’Elektra est en ville pour signer de nouveaux talents. Le courant passe et, contrat en mains, les deux jeunes garçons entrent dès lors en studio. Et puis il y à cette part d’interprétation, de fantasme si l’on dire, à l’écoute des onze chansons. On imagine d’abord la complicité réelle, elle s’entend dans la mesure où chacun joue et chante sur les compositions de l’autre. On songe aussi aux à-côtés de la vie de studio, le plaisir simple d’un repas partagé avec les musiciens de session. Le bonheur de boire une bière après le labeur, de plaisanter tout en réécoutant les dernières prises, de choisir les meilleurs sans sourciller, à l’instinct, sans prise de tête, c’est le cas de le dire. Sans chamaillerie. Ce que l’on appelle en langage mec la franche camaraderie. On pense aussi à la tirade de Piéplu dans Calmos : « On s’assied, on sort un paquet de tiges, on s’le partage à dix, personne parle, on fume. C’est la première, celle du matin, la meilleure. On est bien. On a un peu peur mais on est bien entre hommes. Les femmes on n’y pense pas, on s’en fout. »Parlons maintenant de la musique. Même s’ils osent quelques réminiscences de America, les chansons sont là, écrites dans la solidité sainte de l’artisanat. Les arrangements enfin offrent à cette musique purement américaine de jolies embardées électriques grâce aux quelques claviers qui font scintiller couplets et refrains. De cet ensemble se détachent Send It Over, Portland Rain et son ambiance de foire, Everything You Know qui ressemble un peu à Love The On You’re With de Stills, Kac, Just for a While et surtout I Wanna Live, le reste n’ayant bien sûr pas à rougir. Marline Green, ingénieur, producteur et lui-même songwriter – en duo avec Eddie Hinton –, accompagné du producteur Greg Branson complètent le casting, une équipe d’hommes s’estimant et dont la confiance a sans doute contribué à l’alchimie du disque.
Il est temps de conclure. Avec la question qui taraude tout homme qui se respecte, et que l’on n’interrompe pas le fil de cette profonde réflexion par un « vieux mal blanc dominant » de fort mauvais aloi ! Peut-on aimer inconditionnellement une seule femme dans sa vie ? Passons à celle taraudant tout collectionneur de disque qui se respecte ? Peut-on aimer un album pour une seule et pénétrante chanson ? Portland et son final poignant (I Wanna Live) y répond, et sans hésitation. Pour le reste, ce Lp n’est pas le chef-d’œuvre qu’il ne prétend d’ailleurs pas être. Mais un album élégiage, à la clarté californienne sans y avoir élu domicile. Un album à faire écouter à certaines, de toute urgence. Ne dit-on pas que la musique adoucit les mœurs.
Gary Ogan & Bill Lamb, Portland (Elektra)
https://www.youtube.com/watch?v=8CR0Mw2gvXY
Commentaires
Il n'y pas de commentaires