Sans le savoir ou oser le dire, O alias Olivier Marguerit renoue avec la poésie immédiate et enfantine de deux de nos plus grands poètes et écrivains : Jacques Prévert, qui avait déjà le goût des chansons, et Antoine de Saint-Exupéry. Avec ses allures de petit prince moderne, Marguerit n’en est pourtant pas à son coup d’essai. À terreest son deuxième album, sans compter ses nombreuses contributions sur disque comme sur scène au sein de Syd Matters, sa participation à la compilation réalisée en hommage au doucereux Yves Simon qui ferait d’ailleurs un parrain légitime. Ça c’est pour le curriculum vitae.
Place au disque ! Comme évoqué en préambule, À terre, oiseaux de nuits, Ce bateau renvoient toutes à En sortant de l’écolede Prévert mais aussi à la prose très visuelle de Saint-Exupéry. Car si la recherche sonore prévaut chez Marguerit, la grande clarté des mélodies le place dans ce continuum imaginaire. Au-delà de ces références ô combien flatteuses, cependant méritées, l’esthétique du jeune auteur-compositeur semble jurer dans le paysage actuel, souvent austère, pour ne pas dire disgracieux. Elle tranche comme le fait déjà, et c’est son rôle, la simplissime et magnifique pochette rouge sur bleu (estompé) où Marguerit choisit de se cacher les yeux comme pour ignorer la laideur contemporaine d’une popmainstreamdans laquelle il ne se reconnait pas. Loin des arrangements du néo-rap le plus insipide, métallique, loin de cet arte poveraoù des poppeux arborent des tenues aux couleurs criardes, piochées au hasard des enseignes bons marchés de ZAC, malgré tout cela, il émane de cette musique féérique une réelle fraîcheur, quelque chose d’actuel, non ridé, une force juvénile qui convainc et emporte. Équilibrée, la tracklist plaide pour la mesure, concept que l’artiste a fait sien. De la première à l’ultime seconde qui voit Marguerit reprendre le thème principal de l’album, le musicien raconte avec pudeur et enthousiasme la séparation. À terreavec un point d’exclamation comme une injonction, une invitation à se relever, à aller conquérir cet « en haut » qu’il considère dès lors comme une porte de sortie possible, dessinée comme le mouton de Saint-Exupéry. Musicalement, on pense parfois à Arnaud Fleurent-Didier (Oiseau de nuit), au dernier album de Syd Matters, Brotherocean (Ce bateau), mais à chaque fois l’inventivité dont chaque morceau témoigne, avec parfois comme dans une commode aux multiples tiroirs autant d’idées que d’envies de repousser toutes les frontières (Tu sais je ne sais plus), surpasse cette prestigieuse ascendance. La première face de À terre !s’avale – et c’est le cas de le dire – d’une traite, aussi tumultueuse et impatiente, enjouée et serpentine qu’un poème Prévertien. La seconde face s’ouvre dans l’urgence et la folie avecLes pédales. Tout comme le morceau titre, il est évident de voir dans cette chanson un tube potentiel, un classique qui s’accroche aux parois calleuses de la mémoire. La suite semble s’évaporer comme un songe : Soleil Charbon, Ensablé, En chute libre, Le sommeil des idolesconstituent les pivots centraux d’une face b rêvée où le musicien, dans la grande tradition de la pop d’antan, ne peut s’exonérer d’expérimenter, de dilater le temps, de proposer des thèmes plus recherchés. Un peu à la manière des disques prog, Marguerit ose tout, y compris ce saxophone impétueux qui ouvre et referme le disque. Un détail n’avait pas encore été évoqué, la voix. Olivier Marguerit n’est pas qu’un multi-instrumentiste de grand talent ou un énième singer-songwriter de plus, c’est aussi une très belle voix, ni trop basse, ni trop grave, un timbre doux et clair, qu’il chante ou qu’il parle. Qu’elle soit nimbée, sur le fil, voire presque hystérique, dans les aigus, elle se met toujours au service du texte et des mélodies.
Oh qu’il est vilain de parler d’univers quand on veut décrire le travail d’un artiste. Pour autant ce mot semble convenir à merveille à Olivier Marguerit dont le pseudonyme donne corps à son personnage de poète dessiné, d’Orphée harmonisé. On avait commencé en évoquant deux hommes de lettres, on conclura en citant un troisième qui fut, tout comme Saint-Ex, un noble dessinateur : Jean Cocteau. Cet art du trait, précis, libre et ouvert, élargissant ainsi le champ des possibles, ces lyres, ces couronnes de lauriers, ces chevelures en brouillon seraient le pendant parfait à la musique de O, tout en histoire, en espoir. Après de multiples écoutes, on se prendrait presque à ajouter à ce "O" un "h" exclamatif. Il le mérite tant.
O, À terre (Vietnam)
https://www.youtube.com/watch?v=zgeDpLAq6Hs
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