L’idéologie bêtassonne croit toujours que le gros mange le petit, que le fort écrase le faible. Comme on est loin de cette idée reçue. Et notamment dans le domaine si vaste de la musique pop. Circonscrite aux bouillonnantes sixties, celle-ci sut faire une place à chacun. Oh il y eut bien des laissés pour compte que des décisions stratégiques et publicitaires n’eurent pas aidés. Mais en général, nombreux furent les labels – puisqu’il s’agit d’eux – qui jouèrent le jeu de la diversité et de la fameuse solidarité riches/pauvres, groupes stars/formations confidentielles. Parmi ces entreprises, Elektra. Au catalogue de la firme californienne, on trouve les Doors qui doivent leur signature à Arthur Lee des Love. Le rapide et phénoménal succès du Portes va permettre de financer d’autres groupes importants mais moins exposés comme les Stooges, MC5, le baladin jazzeux Tim Buckley etc. Parmi les combos obscurs, notons Earth Opera qui sortira deux superbes albums dont le premier mérite de rester en mémoire.
Formé en 1967 à Boston – qui va rapidement devenir l’une des trois Mecque du psychédélisme US – par Peter Rowan et le mandoliniste David Grisman (copain de Jerry Garcia), Earth Opera rejoint l’écurie Elektra Records par l’entremise de l’incontournable Jac Holzman. L’homme a eu du flair. Le disque s’avère un savant mixe entre folk, psychédélisme et pop sans jamais se cantonner à l’un de ces trois domaines. Signées de la plume de Rowan, exception faite de Time And Again co-écrite avec Grisman, les chansons sont toutes splendides, d’une écriture raffinée et arrangées avec goût. En plus des instruments traditionnels, guitare, basse, batterie, on entend du vibraphone, du clavecin et quelques cuivres discrets. Passons aux chansons, au nombre de dix. Malgré les trois morceaux de bravoure finissant en cavalcade sonique (As It Is Before, Time And Again) ou en grande messe (Death By Fire), l’ambiance générale est plutôt à la mélancolie. Comme sur le morceau introductif, The Red Sox Are Winning. Passionnant de bout en bout, cette ode tragi-comique aux Red Sox de Boston – mais pas que – s’achève sur ces quelques vers « Kill the hippies » répétés presque en boucle sous de faux applaudissements de stade. S’en suit As It Is Before, déjà évoqué. Cette ballade de sept minutes et quelques se déroule comme un carrousel d’émotions. Au mitant du morceau, un solo de guitare vient prolonger cette enivrante impression quand revient le refrain, tel une valse éperdue. À la sixième minute, on bascule alors dans une sorte de transe presque orientale mais qui se joue des clichés car jamais le groupe ne quitte les rivages d’un folk rock qu’il maîtrise à merveille. Dreamless est une pause joyeuse, guillerette, préparant le terrain à cette chanson à frissons qu’est To Care At All. À ce stade, arguons que Peter Rowan, en plus d’être un songwriter inspiré, s’impose comme un chanteur touchant, à la voix fragile et chaude, réconfortante. Ce dernier semble habité par ses chansons. La première face s’achève sur le majestueux Home Of The Brave évoluant, tel un long chemin guerrier, vers un final chaotique qui en marquera plus d’un, Rowan poussant son timbre au-delà de ses limites. Au regard du titre précédent, The Child Bride est un baume. Il émane de cette chanson diaphane une magie qui la rend presque ineffable. Close Your Eyes And Shut The Door surprend par sa tendresse, son côté presque laid-back et renvoie à ce que fera Grateful Dead sur American Beauty (on pense ici à Ripples). Time And Again et son intro eighties (les accords de guitare) demeure le morceau le plus électrique, le plus rock, même s’il retrouve, le piano aidant, les tonalités folk grandioses du début. Mais ses deux soli gentiment explosifs, tout en timides convulsions lui confèrent sa singularité. Encore une fois, Rowan se lâche au chant, et pour notre plus grand plaisir ! Si When You Were Full Of Wonder est la suite logique de Close Your Eyes And Shut The Door, tout de miel badigeonné, Death By Fire et son grand orgue s’annonce très vite comme la conclusion parfaite, quoique surprenante, de ce chef-d’œuvre – car oui chef-d’œuvre – qu’il convient de découvrir absolument.
Le résultat donne un album hors du temps, miraculeusement épargné par les tics de l’époque, enrobé dans une très belle pochette qui, étrangement, n’a que peu de rapport avec son contenu ! Le groupe défendra ce premier opus en première partie des Doors ce qui fait dire à l’exégète qu’il n’était de promotion plus rêvée que celle-ci. Earth Opera nous revient l’année suivante avec The Great American Eagle Tragedy dont le très beau titre annonce une musique tout aussi spectaculaire que celle proposée sur leur première galette. Bien que très réussi, l’album en question n’a pas l’impact esthétique et émotionnel du précédent ce qui stoppera tout net l’ascension de Earth Opera – pure conjecture personnelle ! Peter Rowan poursuivra une longue carrière de musicien bluegrass. Reste cet album, grand par sa valeur malgré la réputation d’estime de ses géniteurs, et qui n’a aucune peine à égaler des productions plus reconnues gravées par des groupes bien installés. En même temps, quand on s’appelle l’Opéra Terrestre, tout vous est permis !
Earth Opera, same title (Elektra Records)
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