Lenny Kravitz, toujours écouter sa maman

par Adehoum Arbane  le 29.01.2019  dans la catégorie C'était mieux avant

Au fond, le rock ne serait qu’une putain de réinvention. Si la tendance du revivalisme ne date pas d’hier, on peut dire que Lenny Kravitz en aura été le plus habile promoteur. Ce dernier arrive dans l’industrie musicale à un moment précis de l’histoire de la pop – 1989 – où le besoin de recycler les codes du passé, comprendre les sixties, n’a jamais cessé de hanter les musiciens. Même si d’autres – Nirvana – ambitionnent de tout refonder (comprendre, tout foutre en l’air). Tout est là, à ce point d’équilibre. Ainsi devaient débuter ce que l’on appellerait les nineties. Grunge et novatrices d’un côté, réac de l’autre. Dans le camp du passé, Brian Jonestown Massacre reprend le bâton de pèlerin psychédélique là où les Stones de la période Their Satanic Majesties Request l’ont laissé.  Les Flaming Lips eux insufflent au genre une modernité phénoménale, à grands coups de riffs furibards et de gimmicks expérimentaux.

Mais revenons un temps à Lenny Kravitz. Cette année-là, le jeune musicien sort son premier long chez Virgin, Let Love Rule. Premier succès. S’en suivent entre 89 et 91 une série de singles extraits du disque. 1991, donc. Mama Said arrive dans les bacs. Succès ? Non, carton ! Aujourd’hui que l’artiste semble passé de mode, on ne mesure pas l’onde de choc, la déflagration. En effet, Lenny Kravitz accomplit l’incroyable. Soit renouer avec les techniques d’enregistrement et l’esprit des glorieuses sixties en parvenant à conquérir les ondes (donc le monde). Sur quatorze chansons, toutes excellentes – cinquante-quatre minutes au total !!! –, Kravitz balance sept tubes, comprenez sept chansons sorties en singles et qui s’imposeront très vite comme des classiques absolus. Comme si l’artiste avait trouvé la martingale ou avait signé un pacte faustien, tel un Robert Johnson des temps nouveaux. Rien que la première face – ok, l’album est d’abord sorti en CD – aligne cinq tubes. On ne pouvait rêver plus beau démarrage. Fields of Joy. Guitare acoustique sur un tapis volant de mellotron, entrée de la batterie et de la basse. On est chez les Love d’Arthur Lee. Puis un riff déchire cet assemblage délicat. Façon Led Zeppelin avec des voix à la Sly Stone. Puis le solo, dantesque – merci à Slash – après un refrain iconique. On revient au calme. L’auditeur est déjà soufflé. Le meilleur est à venir. Always on the Run débute sur un riff énorme et une guitare rythmique funky. Diabolique. Kravitz fait dans le blues érotique. À la Hendrix. Sauf que des cuivres très Motown tapent l’incruste, d’abord de façon timide pour enrober ensuite le refrain. Puis, Kravitz introduit Slash sans crier gare. Là, c’est carrément les frissons. Les cuivres ponctuent les dernières minutes, tels des petits caquètements de prostitués de Harlem. Jouissif ! Comme pour se faire pardonner, Lenny s’installe au piano et déroule le grand tapis rouge de la ballade éternelle : ce sera Stand by My Woman. Chef-d’œuvre de composition et de production pensé par un jeune Elton John noir. Beau comme du Otis Redding. La prise de son est fabuleuse, on sent que le musicien a passé un temps fou à studio à tourner le moindre bouton, à tester la plus petite idée, seule capable de faire décoller un titre. Quand vient le solo de sax, on est anéanti, à terre. Mais attention, la pop n’a pas dit ni son premier ni son dernier mot. Avec ses violons en déhanchés, son clavier électrique aussi insidieux qu’une pluie londonienne, It Ain't Over 'Til It's Over semble avoir été écrite pour les filles (et les garçons qui aiment plaire aux filles). C’est félin, malin, aérien. Que dire du solo jazzy très Up From The Skies et du faux sitar déboulant après une basse en coup de rein. Insatiable, l’homme décline tout le bréviaire de la meilleure pop de l’époque. Avec What Goes Around Comes Around, on pense à un Miles Davis rock, aux pochettes de Mati Klarwein, à Marvin Gaye aussi. Surtout.The Difference Is Why lorgne ostensiblement du côté de Hendrix avec sa guitare languide. Là encore, l’écriture fait autant, voire davantage que la production. Et en plus, le mec chante divinement. Le groove roule dans sa gorge comme un Caterpillar d’émotions. Et ces chœurs juste au moment du refrain ! Bref, la face A se termine de façon grandiose et la face B, elle, de repartir sur les chapeaux de roues. Avec Stop Draggin' Around, autres single hendrixien, qui ferait passer le phasing pour l’effet le plus avant-gardiste qui soit. Sur de nombreuses chansons, l’interprétation de Kravitz étonne. Le chanteur sait ménager l’auditeur : il s’arrête, commente, balance des yeahscomme aux grandes heures. Flowers for Zoë serait une sorte de relecture de Love période Da Capo. Délicieux. Grand seigneur, Kravitz revisite Fields of Joy en mode cosmique comme l’auraient fait les Stones si la compo avait rejoint le cortège chamarré de Satanic Majesties Request. Comme pour nous aider à nous remettre de tout cela, Lenny revient derrière le piano pour un All I Ever Wanted sobre mais impérial. Si When the Morning Turns to Night semble s’égarer dans la copisme du gaucher de Seattle, What the Fuck Are We Saying? s’annonce comme le dernier tube avant fermeture, avant Butterfly, son The End Abbey Roadien à lui. 

Verdict ? Ok, tout le monde chie sur Lenny mais ce disque resté dans les annales continue d’exercer son pouvoir de fascination, vingt-huit ans après. 1993, Lenny qui nous veut du bien revient avec un nouvel opus, moins grandiose mais nanti de petites pépites comme Are You Gonna Go My Way et le fantastique Believe, tout ça après avoir écrit un album à succès pour notre Vanessa Paradis nationale et un tube soul et spectorien en diable, Be My Baby. Les années se succèdent, l’aura s’amenuise malgré quelques beaux coups d’éclats (Fly Away, Low). Aujourd’hui, Lenny Kravitz n’est plus que l’ombre de lui-même, allant jusqu’à exploser ses futals sur scène, tel un Morrison un peu trop membré côté égo et pas assez culoté niveau inspiration. Reste ce "Maman dit" plus dingue que "Jacques a dit", méritant que l’on s’y replonge comme dans un bain de jouvence Cléopâtrien. Kravitz, naze ? What the Fuck Are We Saying ? 

Lenny Kravitz, Mama Said (Virgin)

mama-said-cover.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/303021

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top