Quel artiste ou groupe des sixties parvint à survivre à la guillotine des eighties ? Lou Reed ? Ray Davies ? Dylan ? Neil Young ? Non. Bowie, presque. Encore que. Macca à la rigueur, même pas. Dès que l’un d’entre eux s’essaya aux nouveaux canons synthétiques, grande fut la déconvenue pour les fans. Le seul qui s’en tira d’affaire même si l’album en question s’inscrivait dans un déclin discographique – temporaire, rassurez-vous –, c’est Alice Cooper, contre vents et marrées ! En préambule il faut quand même rappeler à quel point Alice Cooper – avec et sans le Band – fut une immense star dans l’Amérique des années 70. Il convient aussi de reconnaître que ce succès n’est pas étranger au talent des musiciens, et au génie de son producteur Bob Ezrin qui voulait selon ses mots « produire le groupe et faire des tubes ». Marché conclut !
Si on rembobine la vie de l’inventeur du Shock-rock, de 1983 jusqu’en 1969, on prend d’abord la mesure du legs Alicien. Exception faite du brouillon Pretties For You, la discographie du groupe donnera chair à une décennie peu accorte. Alice Cooper se façonne un personnage à l’image des temps nouveaux, pour ne plus jamais le quitter. Tant et si bien qu’on finira par oublier que le succube hard rock cachait en fait Vincent Furnier, fils de pasteur, père de famille, golfeur et putatif électeur républicain. En l’espace de sept albums (l’apogée de sa carrière se situant entre 1971-1976), les teenagers américains élisent dans leur cœur « un homme perturbé pour une époque perturbée ». Et la promesse du ticket Cooper est belle. Aussi sexy que le Velvet, moins compliqué que Bowie, avec des riffs au moins aussi bien gaulés que ceux des Stones, psyché sans le côté baba, et avec la pop des Beatles en ligne de mire ! Tel est le contrat philosophique signé par le Alice Cooper Band sur l’hôtel du rock’n’roll. L’aube des années 80 annonce un creux discographique d’autant que Cooper arrive au bout de son contrat avec Warner. DaDa sera son dernier disque avec la célèbre firme des Looney Tunes. Mais le propre des succubes, vampires et autres monstres de foire est de toujours renaître. De plus, DaDa marque le grand retour de Bob Ezrin que l’on avait plus vu avec Alice depuis Lace and Whiskey en 77. Associé au guitariste et compositeur Dick Wagner, le trio gagnant est une fois de plus réuni en studio. Pour le pire et sans le meilleur ? Pas vraiment. L’alchimie entre Alice, Dick et Bob n’avait pas disparu, on en prend la mesure, non pas dès le premier titre comme il est de coutume ou dès la première écoute terminée. DaDa est un album court en apparence mais qui nécessite de nombreux passages pour en savourer les évidentes qualités. À force de persévérance, on notera deux choses. La première est que le disque cède aux artifices esthétiques de la nouvelle décennie qui l’a vu naître, mais de façon maligne. DaDa, Enough’s Enough, Dyslexia, Scarlet and Sheba et Flesh Blood étrennent les Roland Jupiter, Fairlight et autre Oberheim OB-X. Instrumental ouvrant fort logiquement le disque, DaDa doit beaucoup aux ambiances des films de Carpenter, à la fois horrifiques et futuristes. De ces cinq morceaux nouveaux, Enough’s Enough est de loin le plus attrayant avec son couplet catchy et son refrain symphonique. Dyslexia porte plus haut l’étendard synthétique, avec son riff étrange, sa rythmique binaire et ses chœurs éthérés. Malgré son introduction arabisante (dérangeante au début), Scarlet and Sheba retrouve des terres plus familières pour le fan de Alice qui se demanderait sur quelle rive – du Nil ou du Bosphore – il a accosté. Couplet haletant, voire viril, refrain de stade font de cette chanson un hymne total. Suivant le même chemin, Fresh Blood surprend, désarçonne et pourtant, à l’instar de Enough's Enough, ses déhanchés vocaux finissent par charmer. Le reste de la tracklist s’assume comme du Alice Cooper pur sucre. Avec des moments de rare émotion comme sur le poignant Former Lee Warmer dont il faut prendre le temps d’écouter les paroles douces amères. Alice Cooper c’est aussi les morceaux de bravoure, ces rock efficaces comme No Man's Land et le très ironique I Love America qui résonne étrangement en cette année 2018 de midterms. Final et acmé de DaDa, Pass The Gun Around aurait pu largement figurer sur School's Out, Billion Dollar Babies ou Welcome To My Nightmare. N’oublions pas de saluer les monumentaux soli de Dick Wagner qui, malgré les facilités de son temps, emporte tout, y compris et surtout sur Pass The Gun Around.
Pour résumer, nous dirons donc que le salut tient au fait que Alice Cooper et ses petits camarades n’ont jamais quitté leur zone de confort, ce mixe savant entre testostérone, pop et symphonisme (avec une délicate touche de new wave) qui fut leur marque de fabrique pendant les années de succès. Malgré les défections – Wagner quittera un temps le circuit de l’industrie du disque – et les albums plus que moyens, Alice Cooper poursuit son chemin, parvenant, sinon à se réinventer, du moins à exister durant les nineties jusqu’à aujourd’hui où le chanteur donnait encore récemment des shows à sa mesure, pour le plus grand bonheur de ses fans. Dans le langage de Pauwels, on appelle ça l’amour monstre.
Alice Cooper, DaDa (Warner)
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