The Smoke is no good ?

par Adehoum Arbane  le 18.09.2018  dans la catégorie C'était mieux avant

Vous connaissez sans doute Iznogoud, le célèbre personnage de bande-dessinée imaginé par Goscinny et Tabary ? Celui-ci rêvait par-dessus tout de devenir Calife à la place du Calife. On peut dire que beaucoup de groupes pop ambitionnèrent d’être Calife à la place du Calife. Beatles à la place des Beatles. Inutile de lever la main en criant Brian Wilson, ce n’est de pas lui dont il s’agit mais du groupe The Smoke , produit par Michael Lloyd et promu par l’irremplaçable Kim Fowley. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, Michael Lloyd est une figure marquante de Los Angeles, fondateur et membre du mythique West Coast Pop Art Experimental Band, producteur omniprésent des projets St. John Green et October Country. Sa prolifique carrière le conduira même à superviser la bande originale du film Dirty Dancing !!! The Smoke – à ne pas confondre avec son homonyme anglais des 60s et celui punk des années 90 –  représente l’acmé de sa carrière (en 1968, donc), et sans doute son disque le plus accompli. Placé sous haut patronage beatlesien – la dédicace à Stuart Sutcliffe –, il dépasse de loin toutes les productions contemporaines évoluant dans le même sillage : la pop orchestrée, appelée aussi sunshine pop. Les treize titres s’en détachent cependant par leurs nombreux partis-pris originaux, même si la sophistication et les harmonies vocales sont bien évidemment au rendez-vous. De Cowboys And Indians, placé en ouverture, à Odyssey, en guise de grand final, l’album ne lasse jamais l’auditeur qui aura eu la curiosité de s’y aventurer.

S’il l’on devait résumer la chose, le disque se divise en deux catégories : les chansons traditionnellement pop et les morceaux imbibés de psychédélisme californien. Looking Thru The Mirror, Self-Analysis, Gold Is The Colour Of Thought, Fogbound, Umbrella, October Country ainsi que les quelques interludes instrumentaux appartiennent à la première. Cowboys And Indians, Hobbit Symphony et Odyssey à la seconde. Et c’est bien cette conception qui a propulsé l’album The Smoke au firmament de la pop américaine. Self-Analysis, Umbrella ou October Country sont des vignettes éthérées et délicates, dans l’esprit de Sagittarius. Elles s’en distinguent par leur équilibre, loin des sucreries parfois mièvres de Curt Boettcher. Lloyd et Ayeroff, les deux plumes officielles – Lloyd surtout –, ont su au fond rester anglais dans leur approche. Les arrangements, eux, sont toujours délicieux et judicieux comme le démontre le trop court Looking Thru The Mirror ou le plus consistant Gold Is The Colour Of Thought. La voix du jeune Michael Lloyd, comme arrachée à l’enfance, apporte ce qu’il faut de pureté à l’ensemble. Parfois mixée en arrière, elle confère aux chansons une aura rêveuse. Elle sait se faire plus déterminée quand certaines le demandent (Cowboys & Indians). Quand October Country débute, c’est un éblouissement. La voix, les arrangements atteignent un degré de perfection tel que l’on prend ce titre en pleine face, le visage embué de larmes de bonheur. De l’autre côté du rivage anglais, surviennent des compositions plus tarabiscotées, l’instrumental Hobbit Symphony et la suite à tiroirs Odyssey dont le titre invite à un voyage sensoriel bien dans l’esprit de l’époque. Stan Ayeroff y déploie ses talents de soliste, sans apparaître gros pied. Ses interventions à la fuzz, tout en finesse, viennent zébrer cet assemblage parfois oriental – les chinoiseries sur le pont – et presque médiéval – le thème ouvrant et refermant Odyssey. Hobbit Symphony – le titre en lui-même fait la preuve de la fascination des groupes psyché pour l’univers tolkienien – développe un autre parti-pris. Instrumental oblige, les seuls instruments doivent raconter une histoire, tisser un fil narratif sans user de paroles. Ayeroff arrive à les remplacer par des chorus de guitare inspirés, aériens qui font parfois penser à ce que faisait Robby Krieger au sein des Doors. Michael Lloyd s’ingénue à singer le clavecin.

À l’arrivée, The Smoke fourmille d’excellentes chansons, de trouvailles sonores et son ambition serait démesurée s’il avait dépassé la fatidique barrière des trente minutes ; c’est bien là son seul défaut ! L’année suivante, Lloyd retrouve ses camarades du WCPAEB pour un dernier chant du cygne sous le patronyme Markley, A Group. Plus classiquement rock que ses illustres prédécesseurs, le disque offre malgré tout quelques joyaux tous droits sortis d’un songe : Next Plane To The Sun, Elegant Ellen et le splendide Sarah The Sad Spirit. Une aventure collective qui ne connut que la reconnaissance critique, partagée entre théoriciens, journalistes et geeks, et qui aurait mérité de croiser celle d’un public infiniment plus large. Comme souvent dans le psychédélisme US, génie rimait avec oubli. En espérant que ceci dissipera le voile de fumée entourant The Smoke et son créateur. 

The Smoke, s/t (Sidewalk)

front-cover-copy3.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=7j2DmC81Cv8

 

 

 

 

 

 

 


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