Quelque chose frappe à l’écoute du deuxième album de Courtney Barnett, Tell Me How You Really Feel. C’est son extrême proximité avec un artiste d’un autre temps, d’un autre sexe – vous pardonnerez que l’on compare une jeune femme à un vieil homme –, Neil Young. Et pourtant, plus d’un indice mène de l’une l’autre, et inversement. En premier lieu, leurs origines et leur rayonnement. Neil Young, tout canadien qu’il est, s’imposa aux États-Unis, à Los Angeles plus particulièrement. Australienne de son état, Courtney Barnett est aussi parvenue à se faire une place sur la scène nord-américaine. Le fait qu’il s’agisse de guitaristes (Young est droitier quand Barnett est, tout comme Kurt Cobain, gauchère) compte bien évidemment, d’autant qu’ils partagent ce goût pour les six-cordes revêches, seules capables de donner des titres rock et ombrageux. Tiens, puisque l’on parle de caractère, la musique de Barnett sur ce nouveau long emprunte les mêmes chemins tourmentées, jadis micro-sillonnés par le Loner, notamment sur Everybody Knows This Is Nowhere. En témoignent le final ralenti à l’infini de City Looks Pretty et l’électricité mélancolique de Need A Little Time. Une colère froide – et canalisée, puisque musicalisée – sourd de chacune des chansons, un petit côté « calm before the storm » (Hopefulessness) qui est aussi la marque de fabrique de Neil Young (on pense également à On The Beach). L’originalité de Barnett est de contraindre ce rock des âges, lui donnant ainsi des accents pop presque chatoyants – le riff en introduction de Charity et les chœurs Nameless, Faceless, assurés par Kim Deal. En leurs temps, les deux sœurs au sein des Breeders avaient joué la carte d’un rock rugueux mais riche en refrains et mélodies. Neil Young, pour sa part, s’était illustré sur le deuxième Lp de Buffalo Springfield avec des chansons à tiroirs aux savantes constructions, capables de rivaliser avec les hits des Byrds et plus loin, ceux de leurs grands cousins Beatles. À l’aise entre ces figures référentielles, Barnett lâche la bride sur le punk I'm Not Your Mother, I'm Not Your Bitch, sorte de réponse musicale au « Me Too » qui menaça d’emporter le monde. Sur sa lancée, la musicienne affiche un tempérament d’acier presque trompeur à la lecture du titre du septième titre, Crippling Self Doubt And A General Lack Of Self Confidence, sur lequel jouent Kelley et Kim. Help Your Self dégage la même lourdeur que sur Ragged Glory, album du canadien renouant avec la virulence rock de Everybody Knows et Zuma. Walkin' On Eggshells demeure l’acmé de cette face b, avec son piano mutin, son orgue discret, et l’on ne peut s’empêcher de songer à After The Gold Rush qui cultive la même énergie du désespoir, mais avec le sourire. Sunday Roast s’avère une fin au moins aussi ouverte que l’entame de Hopefulessness, prévue initialement pour refermer le disque. Mais la colère a fait place à l’optimisme, deuxième qualité de Courtney Barnett qui n’a pu s’empêcher de laisser l’auditeur baigner dans l’or de cette mélodie, servie par un refrain beau à pleurer. Au fond, Courtney apparaît plus complexe qu’elle n’y paraît, entre Bacri et Calamity Jane mais avec ce qu’il faut de générosité, de sociabilité. Tout comme Neil, elle n’est pas réellement une solitaire et s’entoure de fidèles, à commencer par son producteur Burke Reid et ses musiciens habituels, tous présents sur Sometimes I Sit And Think And Sometimes I Just Sit. En son temps, le Loner fit de même avec le producteur David Briggs et son groupe fétiche, Crazy Horse, et l’on souhaite à Courtney de vivre une collaboration au moins aussi longue et intense. Au-delà des considérations philosophiques, il convient enfin de dire à quel point chacun va – ou est allé – son petit bonhomme de chemin rock, chemise bucheron et jeans troués, avec la musique comme seul crédo, loin de la figure totémique de la rock star. Bien que plus jeune, Courtney Barnett ne s’aventure jamais au-delà de sa zone de confort, à l’image de son prestigieux devancier (sauf sur Trans !). Malgré l’utilisation très discrète de synthés, cette dernière privilégie une musique plus sincère qu’originale, démentissant au passage ceux qui parient sur la mort imminente du rock. Barnett s’en cogne qui livre ici une suite plus courte mais tout aussi passionnante, fidèle à sa vision du monde, à son regard qu’elle pose sur ses contemporains pour la restituer en chansons, avec ce sens de la formule qu’on lui connaît. C’est paradoxalement cette empathie qui lui manquait sur le disque enregistré avec son pote Kurt Vile, et qui avait profité à ce dernier, lui inspirant de merveilleuses compositions, Barnettiennes en diable (Over Everything, Continental Breakfast, Blue Cheese). « Erreur » réparée sur Tell Me How You Really Feel, question au combien existentielle à laquelle on serait tenté de répondre du tac au tac par un franc « I feel good, actually ». Suivi du mantra Yougien « Hey hey, my my, Rock and roll can never die » ou « My my, hey hey, Rock and roll is here to stay. » À vous de choisir.
Courtney Barnett, Tell Me How You Really Feel (MARATHON ARTISTS/PIAS)
https://www.youtube.com/watch?v=TISIPNpRuoY
https://www.youtube.com/watch?v=rPMvGrSzOCM&feature=youtu.be
Crédit Photo Pooneh Ghana
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