Il est toujours regrettable de découvrir la musique d’un groupe par le prisme d’un autre média que le disque, un film en l’occurrence. La sortie prochaine de Isle of Dogs de Wes Anderson a fait l’objet d’une bande-annonce où l’on a entendu, comme par magie, l’une des chansons du premier album du West Coast Pop Art Experimental Band, I Won't Hurt You. Étrangement belle, sobrement déployée sur un canevas de guitare, portée par la pulsation d’une percussion (ou d’un autre instrument), la chanson captive automatiquement. On l’imagine même presque entière, en accompagnement d’images que le traitement animé ne peut que servir. Démarche d’autant plus légitime lorsque certaines de ces bandes-originales permettent d’exhumer un trésor caché, ce qui est ici bien évidemment le cas. Et puis, on pourra arguer que la singularité du réalisateur se marie à merveille avec celle du WCPAEB, et inversement. On ne dira jamais assez de bien de la somptueuse trilogie pop que nous ont offert les frères Shaun et Danny Harris, épaulés de Bob Morgan et des producteurs Bob Markley et Michael Lloyd. Difficile de dire parmi ces trois œuvres exceptionnelles laquelle brille le plus, mais ce premier volet a le mérite de poser les bases d’un son qui, s’il emprunte parfois à la clarté des Byrds – Transparent Day –, se distingue malgré tout de la production de l’époque. Le WCPAEB est ainsi le seul groupe à mixer non sans talent l’acidité des guitares fuzz avec la splendeur des arrangements pop et ce, sans utiliser la moindre orchestration, trop souvent boursoufflée. Sa force se résume donc à la qualité d’écriture et à la production aventureuse, en plus d’un enregistrement d’une précision quasi sans égale pour une formation underground. Relativement court, l’album n’en demeure pas moins fascinant comme en témoigne l’ouverture irréelle de Shifting Sands, I Won't Hurt You donc et le presque ravélien 1906. La reprise de Help, I'm A Rock, signé Zappa et ses Mothers, constitue l’apogée, du moins le moment le plus « psychédélique » du Lp. Mais on succombera aisément aux chansons plus simples – en apparence – comme Will You Walk With Me ou If You Want This Love où les voix mêlées aux accords limpides des guitares sonnent comme une aurore californienne. La face b se referme sur l’énergique et rock’n’rollien 'Scuse Me, Miss Rose, suivi de l’interlude acoustique High Coin qui semble ouvrir la voie au futur. Constat évident car la même année 67, le WCPAEB se retrouve en studio – son terrain de jeu préféré – pour graver un Volume 2 sans temps mort. Si Part One possède les charmes d’un Love dont il pourrait être le copiste studieux, le Volume 2 met clairement la barre au-dessus en termes d’exigence. Ce dernier offre une variété de morceaux – et de climats – tous servis par une production toujours plus foisonnante. Une fois de plus, le thème de l’enfance nourrit l’inspiration des musiciens, croisés avec les angoisses de la décennie comme sur Suppose They Give A War And No One Comes, sacrée plus drôle – tout en subtile ironie – et meilleure chanson sur la guerre du Vietnam. L’album comporte son lot de classiques immédiats comme le presque tube Smell Of Incense et le final jazzy de Tracy Had A Hard Day Sunday. Poursuivant sur leur lancée, Shaun Harris (sans son frère Danny), Ron Morgan et Bob Markley réinvestissent les studios pour y graver leur troisième contribution, considérée comme le chef-d’œuvre du WCPAEB, A Child's Guide To Good And Evil. Aussi Bref que ses prédécesseurs – trente-trois minutes dont une minute et trente-sept secondes de silence –, il aligne onze chansons atteignant un nirvana de perfection formelle et de songwriting. Difficile de se remettre de Eighteen Is Over The Hill, Ritual #1, A Child's Guide To Good And Evil ou encore Ritual #2 où le sitar fait des merveilles. Pour contrebalancer l’intensité frustre de ces vignettes, les musiciens envoient jusque dans les cieux deux titres plus longs, l’éthéré As The World Rises And Falls et le plus vigoureux Watch Yourself (en forme de faux morceau live). Respectivement quatre minutes cinquante-trois secondes et cinq minutes vingt-et-une secondes, ces deux titres rivalisent d’inventivités et de splendeurs dans l’art de s’arranger sur la longueur – sur la langueur aurait pu-t-on dire pour As The World Rises And Falls. Si le quatrième Lp voit le niveau baisser – il renferme malgré tout la pépite Outside/Inside –, le disque solo de Bob Markley vaut son pesant d’or pop avec des compositions qui renouent avec la magie originelle des années 67-68. Quoi de plus logique, il réunit dans son line-up les frères Harris et le producteur Michael Lloyd. Au fond, la grande force du WCPAEB fut de se promener à la lisière du psychédélisme sans jamais s’y aventurer pleinement. Le groupe aura su habilement mixer rock – la fuzz ciselée comme jamais – et pop dans l’art d’harmoniser des mélodies charmantes en apparence. Quel sera le prochain, sur la liste des réalisateurs les plus cools de la planète, à piocher dans la courte discographie du West Coast Pop Art Experimental Band ? Il y a urgence.
West Coast Pop Art Experimental Band, Part One (Reprise Records)
https://www.youtube.com/watch?v=wGWZcrmYbrs&list=PL4E502CE45B6507FE
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