Wolfgang Amadeus Mozart composa La flûte enchantée en 1791, puis mourut la même année. Il avait 35 ans. Aujourd’hui, nous gardons de lui – et pour l’éternité – l’image du film de Milos Forman, soit un jeune homme fantasque au rire tintinnabulant. Il se trouve que Andrew VanWyngarden et Ben Goldwasser ont composé leur quatrième album, Little Dark Age, au même âge (on leur souhaite toutefois une plus longue existence !). Ainsi et depuis leurs fracassants débuts, ils réécrivent, au fil des albums, leur œuvre de jeunesse. Tels des Mozart de l’ère pop. C’est peu dire que leur musique recèle cette part enfantine, ces couleurs pimpantes qui montent si facilement aux joues et ce, malgré les ténèbres de leurs sous-textes. Cela tient à plusieurs caractéristiques habillement distillées au travers de leurs chansons. La première pourrait sembler incongrue à une époque où l’on entend la musique, à défaut de l’écouter. Ce sont les voix. Juvéniles certes mais souvent facétieuses, parfois ostensiblement rigolardes. Comme dans la seconde partie de The Handshake. C’est dans leur deuxième Lp, le brillant Congratulations, que celle-ci s’en donnent à cœur joie. Song For Dan Treacy s’avère un prototype du genre, parfait master pour chanteur et « musicien-oiseau », avec des pépiements en guise de vocalises. Le deuxième aspect c’est bien sûr ce sens inné de la mélodie dont les deux compères font preuve, même s’ils s’emploient à faire zigzaguer celle-ci plusieurs fois au sein d’une même chanson. La production procède d’une logique identique, les instruments se transformant dès lors en beaux jouets rutilants. On ne peut s’empêcher de songer alors au mythe, très souvent éculé, de l’enfant roi. Il suffit d’observer Ben et Andrew dans le clip promotionnel de leur nouvel album, tels deux gamins hyper sensibles et hyper créatifs, livrés à eux-mêmes dans le confort rassurant de leur studio. Ils semblent tout oser, même les choses habituellement interdites. Leurs compositions foisonnent d’idées, de trouvailles. Il faut les écouter plusieurs fois pour en savourer les strates, distinguer un clavecin ici, là un chorus de guitare à la Al Di Meola. Personne pour leur taper sur les doigts ou les rappeler à l’ordre. On passera sur leurs visages de cire, figés dans une jeunesse lointaine et forcément ravissante, celle de leur très chère université où semblait briller en néon clinquant ces deux mots « radieuse innocence ». Mais venons-en à Little Dark Age. Titre de plomb dans un jaune poussin offrant le faciès vide, fou d’un énigmatique fantôme, entre la figure du clown et celle du cri de Edward Munch. She Works Out Too Much démarre en aérobic, entame idéale donc, servie par deux musiciens en forme malgré leur silence de cinq ans – un siècle en pop musique. Lorsqu’on y prête attention, le disque s’annonce moins jovial qu’il n’y paraît du moins, tel qu’il sonne à nos oreilles. Ce premier morceau, comme les autres, est un dézingage en règle de notre décennie digitale, soi-disant sociale et bêtement communautaire. Mais oublions cette sourde impression, rampante comme une mauvaise sueur. Le morceau se déroule agréablement, on y entend même une voix féminine et un joli saxo tout en contorsions suaves. Avec Little Dark Age, le morceau-titre, on ne navigue plus en eaux-troubles. « I grieve in stereo/The stereo sounds strange ». Tout semble résumer dans ces deux lignes fascinantes qui devancent d’autres mots à l’horreur de moins en moins indicible. Mais les claviers mandarins de When You Die, rappelant ceux du China Girl de Bowie, peinent à masquer l’essentiel. Certes, on est bien, là, cependant la réalité du titre se rappelle à notre esprit en vadrouille. Et les paroles d’enfoncer le clou. « Go fuck yourself/You hear me right/Don’t call me nice ». Nos Mozart seraient-ils en fait des Dorian Gray assumés ? Des monstres d’ironie planqués en embuscade sous des poppeux modèles ? La vérité étant beaucoup plus complexe, elle se niche forcément ailleurs. Ben et Andrew ont, depuis Congratulations, noctambulés sur des chemins moins balisés, parfois balisant qui les ont amenés à ce disque incompris, aussi éponyme qu’un acte manqué. En fait, leur éducation musicale fut imprégnée des ressors complexes des musiques dites expérimentales, comme si Mozart avait été la couverture officielle d’un Schönberg, d’un Berg ou d’un Webern. Même pop, les chansons de MGMT demeurent suffisamment alambiquées pour se démarquer, puis séduire. Et Little Dark Age ne déroge pas à la règle. Il offre même une sorte de syncrétisme idéale permettant sans problème de passer de la délicieuse guimauve de Me and Michael au madonnien Tslamp, qui vire carrément Francis Lai sur le refrain, englobant au passage des accents très Ariel Pink – qui a participé l’écriture de When You Die – sur James. Si le groupe cède à la tentation du morceau instrumental avec Days That Got Away, ce dernier paraît moins cohérent que son grand frère, l’inénarrable Lady Dada's Nightmare en forme de cauchemar à la Dario Argento. Sur One Thing Left to Try, on retrouve yeux fermés le trajet menant au dancefloor, comme au bon vieux temps de Oracular Spectacular. Sous les apparats de la simplicité, When You're Small fascine par sa beauté sépulcrale quoique très aérienne sur le pont. On y croiserait presque les sœurs Lisbon. Le thème revient, grandiose, avec ses notes de piano descendantes. La chanson a l’ultime bon goût d’ouvrir sur le final blue-eyed soul de Hand It Over. On se croirait sur la quatrième face de Something/Anything de Todd Rundgren. Et l’album de finir dans un phasing vieille école du plus bel effet. Ainsi, même déboussolé, MGMT continue de rester l’une des formations les plus intéressantes de la pop contemporaine. On vous aura prévenu. Vous avez affaire à Wolfgang & Amadeus.
MGMT, Little Dark Age (Columbia)
https://www.deezer.com/en/album/56298312
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