La musique instrumentale est par définition inclassable. Elle s’étend du classique – appellation réductrice – au jazz, du rock (dont les jams cosmiques !) à la techno, et joue même des coudes pour se frayer un passage vers les œuvres expérimentales. Difficile à cerner, elle n’en demeure pas moins exigeante. Hors format, elle ne se laisse pas si promptement apprivoisée. Car il faut bien arriver à remplacer idées et mots par des sons, des notes, plus globalement caractères et tonalités afin d’exprimer telle ou telle émotion. Parfois, souvent, la musique instrumentale choisit un chemin de traverse, en dehors de toute recherche de signification. Elle s’approprie une matière plus organique que pratique merveilleusement le groupe Drame. Celui-ci nous revient avec un deuxième album, appelé sobrement « 2 ». Comme les chiffres des pochettes de Soft Machine – Volume Two, Third, Fourth, Five, Six, Seven. Au-delà du choix numéraire, la comparaison vaut aussi pour ces compositions tendues comme des arcs, et qui progresseraient presque à marche forcée. Tout comme la machine molle – la musique des deux groupes ne l’est pas –, Drame se concentre autour de l’axe basse-claviers-batterie. Pas tout à fait rock, encore moins techno et pourtant les deux à la fois. Voilà qui résumerait perfidement mais admirablement bien le crédo du groupe. Habile de ses quarante doigts, Drame nous prend en route, à cent à l’heure, pour ne plus nous lâcher. Le temps d’un album frisant les 60 minutes, ce qui est long pour du presque rock, un peu moins pour de la simili techno. Ce qui détonne pourtant, et nous ne songeons pas qu’à leur premier album, c’est que cette musique, pour efficace qu’elle soit, ne paraît jamais austère. Il s’en dégage une joyeuse clarté à l’image du morceau placé en ouverture, Patinoire Mondiale de l'UNESCO, sur laquelle l’auditeur glissera sans heurt. Même les rivages plus ou moins inquiétants de Ça Va Ça Va ne l’empêchent pas de sauter à cloche pied d’une ligne de clavier à l’autre. Constat identique à l’écoute de Justice Cosmique au tempo presque africain, entrechoqué d’éclats stellaires comme si nous avions embarqué dans une navette spatiale. À ce propos, jamais le groupe ne cède au tropisme du space rock ou rock planant, peu importe le qualificatif que nous retiendrons. Il se joue des traditions pour mieux nous perdre, nous guidant tant bien que mal. Car c’est l’un des nombreux plaisirs de ce numéro 2 : l’effet de surprise, le plaisir sensoriel d’ouvrir une porte sur un nouveau morceau, puis de pousser d’autre gonds à l’intérieur du même titre. C'est Toi Le Chat En Do en fait l’admirable démonstration avec ses couloirs obliques alors que le thème se déroule, imperturbable. Il est vrai, dans ce cas précis, la longueur aide à repousser chaque frontière aussitôt établie aussitôt effacée. Imaginez un labyrinthe aux murs invisibles : nous y sommes. À mi-parcours, la vision semble se troubler sous l’effet des claviers en rideaux de pluie, comme si un essuie-glace tentait de balayer, sans fin, la mousson moite qui nous tombait dessus. L’énigmatique Homme Nu clot cette face… Qui redémarre sur les chapeaux de roues avec Défonce Humanitaire. Pour un peu – quelques détails près cependant – on se croirait à bord du Continental Circus de Gong. C’est plus l’esprit et non les convergences stylistiques qui font surgir alors cette référence incongrue. D’ailleurs, l’album n’enquille pas sans raison sur Dérapage Américain, qui renvoie plutôt, de par son titre, à un certain contexte géopolitique. Soutenue par la basse de Frédéric Landier et la batterie de Jérémie Morin, les claviers conduits par le duo Sandrine Guillot-Olivier Claveau, aidés du même bassiste, chaque thème trace sans se retourner, mais sans s’oublier non plus. Car il faut bien le dire, cet attelage instrumental, aussi séduisant soit-il dans ces sorties de voie express, ne serait rien sans l’idiome qui a marqué toute l’histoire des musiques populaires : la mélodie. Alors qu’Amitié Obligée et Poésie Parfaite explorent d’autres dimensions, tout comme le final tout en magistrale apesanteur de Non Merci, chacune des compositions se voit sertie de motifs immédiatement reconnaissables, presque chantants, des petits instants que nous nous plairions presque à siffloter comme une innocente pop song. Ainsi apparaît ce disque somptueux et roboratif, léger et tintinnabulant : en un clair-obscur de cinquante-sept et heureuses minutes.
Drame, 2 (Platinum Record)
http://www.platinumrds.com/fr/artiste/drame
https://www.youtube.com/watch?time_continue=188&v=2Uw9F8se_do
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