L’un ne va pas sans l’autre. Ainsi, la découverte de la musique de Magma est-elle indissociable de l’expérience live. À rebours de tous les groupes – et c’est peut dire que la formation française fut à l’antipode de la pop de son époque, les seventies –, les concerts de Magma priment sur tout, même s’ils ramènent souvent, toujours à l’œuvre gravée. Rassurons-nous, le phénomène inverse existe aussi pour les anciennes générations. Mais revenons au propos initial. Pourquoi parler d’expérience ? Pour les novices – car c’est d’eux dont il s’agit en vrai – qui acceptent d’entrer dans l’univers de Magma – quel autre formation rend légitime ce terme si galvaudé ? –, la scène telle un passage obligé demeure une étape sacrificielle indispensable. C’est d’ailleurs la meilleure façon d’apprécier une musique qui pourrait, sur disque, créer une distance, intimider, voire effrayer. Dans l’intimité d’une salle il en est autrement. D’abord, on constate que derrière des thèmes aux appellations un brin grandiloquentes – Mekanïk Destruktïw Kommandöh, Köhntarkösz Anteria –, derrière ce sigle reconnaissable entre mille, il y a des femmes et des hommes, de chair et de sang, des gens simples, aimant plus que tout la chaleur d’un contact et délaissant bien volonté leur costume de musiciens une fois le set achevé pour se mêler à la foule. Mais il y a plus, il y a cette musique que l’on prend de plein fouet, car c’est un choc que d’entendre Magma jouer. Alors, pour la première fois ! Pendant que les amateurs se délectent des thèmes qu’ils semblent connaître sur le bout des doigts, les néophytes ont cette chance d’apparaître dans leur formidable virginité, de littéralement embrasser une œuvre qui résonne nouvellement en eux. Entre ce public neuf et les musiciens un processus s’enclenche, une sorte d’attraction-répulsion ou, pour dire les choses avec exactitudes, le fait d’être constamment happé et rejeté, puis happé encore et ce dans un cycle continuel presque épuisant mais ô combien généreux. Ce curieux va-et-vient, on le doit à deux aspects de la geste magmaïenne. Un sens inné de la mélodie, un ravissement permanent qui rend chaque morceau lisible, évident. Cette expression gracieuse est automatiquement – et méthodiquement – détruite par la violence – le deuxième point – qui couve dans un bruissement de cymbale, annonciateur d’un coup plus dur porté à la création, dans quelques accords de fender, comme une pose nécessaire entre deux moments de bravoure. Cet art-là, Magma le maîtrise depuis ses premiers âges. Que Vander soit épaulé de ses compagnons de toujours ou accompagné par la jeune garde des musiciens de jazz n’y change rien. Ce soir du 27 janvier, Magma commença par louvoyer, séduire pour mieux enserrer le spectateur. Nous avons tout d’abord goûté à une version réduite de K.A I, chœurs et fender. Déroutante au début car sans Christian Vander dont nous aimions épier chaque mouvement de baguettes, cette mouture quasi acoustique nous parut dès lors sublime, ce qu’elle était ! Puis le De Futura de Jannick Top a démarré, véloce, impérial, sombre ! Dans un mouvement inéluctable pour les oreilles chastes, Magma enchaîna sur Ëmëhntëhtt-Ré II privé de Hhaï et rebaptisé pour les besoins de la scène, Grand Zombie. Sans relâcher la pression – serres et mâchoire –, Vander et ses troupes jouèrent Slag Tanz, tel un cri primal. Ce morceau demeure éminemment matriciel fondé sur l’alternance savante entre chant guerrier et mélopées enveloppantes, assurées par Stella Vander et Isabelle Feuillebois en plus de Hervé Aknin. Après une courte sortie suivie d’une salve d’applaudissements nourris, Vander revint avec le claviériste Jérôme Martineau, rejoints ensuite par le guitariste Rudy Bals et le duo vocal Stella Vander-Isabelle Feuillebois. Cette formation dans la Formation interpréta une composition d’Offering, le poignant Ehn Deïss avec un Vander très touchant quand il délaisse sa peau de batteur fou, habité pour se couler dans celle du chanteur sentimental. Ce bref rappel vint clore le concert, mais bien que cela il referme un cycle de dates qui ont emmené Magma par les chemins du monde. Cela change-t-il quelque chose pour celles et ceux qui ignoraient tout de cette musique, quelques jours auparavant ? La réponse est non. Ils sont repartis avec le sentiment d’avoir plus qu’entendu ou écouté une musique. Ils l’ont ressentie intensément, traversés qu’ils furent par autant d’émotions contradictoires. Pour les fans c’était un live de plus, mais un live mythique.
Magma, Live au Triton (27 janvier 2018)
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