Je hais les bretons et leur agaçante manie – réflexe imbécile, donc répandu – consistant à sortir l'étendard de leur région dans tous les festivals du pays alors, ALORS qu'ils ont raté l'unique et légitime occasion de le faire. C’était le 28 février 1972, à l’Olympia. La star des harpistes y enregistre ce qui deviendra son troisième – et meilleur ? – album devant un public chauffé à blanc, cependant respectueux d’une musique traditionnelle ancrée dans la modernité. Alan Stivell s’en était déjà expliqué qui a depuis toujours intégré à son orchestre celtique des instruments plus rock, dont la fabuleuse guitare électrique de Dan Ar Braz, sorte de Martin Barre breton. Ainsi, l’album À l’Olympia est devenu un classique de sa discographie, et sans nul doute l’album que l’on retrouve le plus dans les collections privées françaises, avec Just A Poke de Sweet Smoke. Au verso du vinyle on découvre les piliers inspirationnels et philosophiques de Stivell, Progressive-folk, Celtic pop-music, Futurisme, Monde technologique, Exprimer soi, Retour aux sources, Sonerezh Geltia bloaz 2000, expressions certes naïves mais délimitant un territoire en vérité infini quoi que bien connu. Avant tout chose, saluons l’excellence de la prise de son, à la fois ample et spacieuse et qui restitue à merveille l’atmosphère de magie, avec ses nappes de harpe-brume sur les rivières invisibles et obscures de l’Olympia. D’un titre à l’autre, Stivell passe de l’anglais au breton, jamais l’accent approximatif ne rebute l’auditeur qui se retrouve emporté dans ce voyage à travers le Temps. Car derrière lui s’exprime tout un groupe, des musiciens habiles maîtrisant instruments et répertoire et qui donnent en cette soirée mémorable le meilleur de leur art. Au-delà des qualités propres à l’enregistrement, c’est bien la force de la musique jouée par Alan Stivell qui subjugue, parce qu’elle parle intensément à chacun d’entre nous. Celle-ci s’avère d’autant plus ouverte sur le monde qu’elle transfigure le simple folklore breton. Son universalité semble battre comme un cœur. Disons-le, elle incarne de façon totale, sans concession aucune, la promesse imprimée au dos de la pochette. The Wind Of Keltia est l’unique composition de Stivell figurant sur l’album, ce morceau lent et rêveur se pose comme le manifeste d’une nouvelle esthétique, entre tradition et modernité, il s’adresse à la jeune génération au travers de mots simples mais puissamment poétiques : « Vous êtes une forêt de visages d’enfants/Nés sur la terre et sevrés sur la mer. » Les arrangements basés sur la harpe de Stivell et la guitare, presque psychédélique, de Dan Ar Braz concourent à la réussite de ce magnifique préambule. Le reste de l’album, plus précisément du concert, se divise entre balades délicates, gorgées d’émotion, et morceaux empruntant à la virilité d’un rock naissant, fait de fureur et de riffs. D’un côté on se laisse bercer par les volutes subtiles de The Trees They Grow High, la beauté simple de An Durzhunel et la force incantatoire de Telenn Gwad/The Foggy Dew. En contrepoint des instruments acoustiques, guitare et orgue rehaussent l’ensemble, conférant à ces chansons une épaisseur servie par la captation des équipes techniques du producteur Frank Giboni. De l’autre côté, c’est-à-dire sur l’autre face s’époumonent des morceaux vigoureux dont le formidable Pop Plinn, traditionnel réarrangé par Stivell et qui fut également édité en single. Cette danse typique de Bretagne, le Plinn, se retrouve traversée d’électricité crépitante, et nappée d’orgue dans la lignée de groupes comme Deep Purple. Tha Mi Sgith, Tri Martolod et le final éblouissant de Suite Sudarmoricaine poursuivent dans cette voix toute en chaos sonique et en orage celtique. En seulement quarante trois minutes et quelques secondes, Stivell et ses musiciens rebattent les cartes et propulsent le genre à l’avant-garde du rock. Celtic pop-music, le rêve se réalise enfin dans toute son ambition. Très vite, le disque connaît un succès retentissant, tant en terme de ventes que critique, remettant en lumière les précédents albums. En un soir, Alan Stivell est devenu une pop star, mais aussi un symbole. Sans le vouloir – quoique – le jeune musicien ouvre plus qu’une brèche, une voie. Il démontre ainsi la perméabilité des mythes ancestraux aux chants des lointains avec le temps présent. Mieux, il réconcilie les mondes rural et urbain. Dans son giron, des artistes locaux vont eux aussi vivre les affres du succès, Tri Yann d’abord mais aussi Malicorne dont le leader, Gabriel Yacoub accompagne l’artiste breton ce soir du 28 avril. D’autres groupes, étrangers à l’héritage celte vont explorer cette ruralité remise au goût du jour, comme Ange avec les albums concepts Au-delà du délire en 74 et Émile Jacotey en 75. Dès 1970, Stivell avait labouré ces terres éminemment fertiles. Jusqu’à l’Olympe parisienne.
Alan Stivell, À l’Olympia (Fontana)
https://www.youtube.com/watch?v=3dzYjyhbYAk
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