Pourquoi un artiste – aussi chevronné soit-il – voit trop souvent, avec le temps, la source de son talent tarir ? Lennon et Harrison se sont ainsi perdus en solo, après deux albums réussis. Ne parlons même pas de Ringo Starr. Seul McCartney semble avoir échappé à ce coup du sort. Quelle en est la raison ? Peut-être parce qu’après la séparation des Beatles et deux albums sous son nom – dont le sublime Ram – il eut cette idée de génie de… Monter un groupe ! Bon sang mais c’est bien sûr, il fallait y penser ! Surtout à l’aune des seventies, la décennie des projets solos et de l’égo. Nous n’irons pas jusqu’à dire que les premiers Wings s’imposent comme des chefs-d’œuvre – Seul Band on the Run peut aisément prétendre au titre. Disons plus prosaïquement que McCartney parvint à revitaliser sa carrière, trouvant dans ce format pourtant éprouvé une nouvelle inspiration. Pour résumer, il devait renouer avec l’esprit collectif qui avait contribué au succès des Beatles – même si les Wings première mouture se limitaient au noyau dur Paul & Linda et Denny Laine. Mais développons. En 1971, Lennon est à son firmament lorsqu’il sort Imagine. Harrison vient de livrer un copieux triple album, All Things Must Pass qu’on peut réduire à un double, si l’on décide de se passer des jams. Comme nous l’avons dit plus haut, après avoir publié Ram, Macca n’a pas tout dit. Alors que ses copains végètent, il sort la même année (!), sous l’étiquette Wings, l’imparfait Wild Life qui renferme cependant le très beau morceau titre, la sublime bagatelle pop Tomorrow qui sonne plus Beatles que les Beatles, et Dear Friend. Cette chanson, réponse bouleversante parce que sobre au « How Do You Sleep ? » de Lennon, cloue le bec à ses détracteurs. À partir de là, McCartney va se montrer boulimique. Entre mars et septembre 1972, il retrouve le chemin du studio en infatigable stakhanoviste de la pop. En sortira le 4 mai 1973 Red Rose Speedway qui, s’il n’est pas le classique qu’il prétend être, comporte quand même son lot de chansons énervantes, parce que foutrement bien écrites. Là encore, l’émulation, l’humilité et le travail de groupe font des merveilles. De cette tracklist raisonnable à l’heure des concepts albums, on retiendra My Love – sublime ballade suave dont seul McCartney a le secret –, Get On the Right Thing au son panoramique, Single Pigeon trahissant depuis Blackbird une passion pour les volatiles en chanson. McCartney y laisse-t-il des plumes ? Oh que non, surtout à l’écoute de Loup (1st Indian On the Moon), à ce jour son morceau le plus psychédélique – et le plus surprenant ! Le medley qui referme le disque est l’occasion pour le musicien de prouver à nouveau – et s’il était besoin – son talent de mélodiste. Quelques mois plus tard, après avoir sorti la symphonie de poche Live and Let Die – inaugurant en grande pompe le premier James Band avec Roger Moore – le groupe décolle pour Lagos où il va enregistrer ses nouveaux titres, chansons qui donneront naissance au magnum opus des Wings : Band on the Run. Pour la petite histoire, le choix de Lagos avait été retenu pour son climat plus que favorable. Le groupe déboulera en pleine guerre civile. Malgré ces déconvenues le résultat est sans appel. Moins de déchets, c’est peu dire à l’écoute de l’album. En seulement neuf titres, Macca assoie les Wings et se paie le luxe de de faire figurer sur la pochette quelques prestigieux invités dont Christopher Lee et James Coburn. Le musicien y déploie tout son savoir-faire : écriture, interprétation, production. Alternant les tubes et les suites à tiroirs, il propose une palette allant de la pop au rock, de la chanson enlevée à la ballade feutrée. Quant au morceau titre, il réunit deux forts jolis thèmes en l’espace de cinq minutes ! Même Nineteen Hundred And Eighty Five montre un Macca tout en voix, à la limite beefheartien, dans la lignée de Monkberry Moon Delight. Souvent, le principe d’un chef-d’œuvre tient à son caractère indépassable. La suite ne pouvant être à l’avenant, les Wings vivront un déclin progressif qui ne les empêchera pas de produire quelques très bons morceaux, au gré de leurs albums : Junior's Farm sur Venus & Mars (1975), Let 'Em In et Silly Love Songs sur Wings at the Speed of Sound (1976), With A Little Luck sur London Town (1978). Pour en revenir à ses anciens compagnons, on sait très bien pourquoi Lennon fut moins prolifique. Sa nouvelle vie à New York, la carrière de Yoko et la naissance de son deuxième fils, Sean, l’écartèrent pour un temps des chemins de la création, notamment après Mind Game (1973). Harrison, lui, continua d’enregistrer des albums. Ce dernier eut la même idée que McCartney en montant avec Bob Dylan, Jeff Lyne, Roy Orbison et Tom Petty les Traveling Wilburys. Mais à l’exception de Living in the Material World, le reste de sa production s’avère décevant et dispensable. Autant dire que la voie était libre pour McCartney ! Il sut tirer profit de l’enthousiasme propre aux jeunes formations, écoutant et faisant confiance aux musiciens, forts compétents, qui l’entouraient. Exigence qui lui valut moult rebondissements et réinventions dans les années 80-90-2000, de ses duos avec Stevie Wonder (Ebony and Ivory), Micheal Jackson (Say Say Say et Girl is Mine) jusqu’à sa récente collaboration avec le très demandé Nigel Godrich. McCartney, always on the run !
The Wings, Wild Life – Red Rose Speedway – Band on the Run (Apple)
https://www.youtube.com/watch?v=IBa3MbUU2wI
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