Malgré sa pochette emblématique, Ummagumma n’a jamais réellement trouvé dans le cœur des fans, et plus largement du public, la place qu’il a amplement méritée. Pour des raisons connues et authentiquement exactes, le groupe éprouva pendant de longues années des difficultés à se remettre du départ, le mot est bien faible, de son leader – mieux, son créateur – Syd Barrett. D’autant qu’avec Piper at the Gate of Dawn, ce dernier avait inauguré un psychédélisme tout à la fois anglais pourtant très sombre, traversé de visions oniriques, féériques, mais également fortement teinté de science-fiction. Cette œuvre ne connut à l’époque aucun équivalent, même les Beatles n’allèrent pas aussi loin dans la musique dite acide. Les albums suivants seront trop différents pour rendre la suite de la carrière du Floyd lisible. A Saucerful Of Secrets limite la casse, non sans une certaine puissance. Malgré la présence d’un unique titre de Barrett, le très mélancolique Jugband Blues, le groupe essaie de faire bonne figure en livrant quelques morceaux à la manière du maître : Let There be More Light, Corporal Clegg d’un côté singent les aspects les plus radicaux du songwriting barrettien. Remember a Day et See-Saw de l’autre assument un psychédélisme rêveur qui doit tout à Rick Wright. C’est sans compter Set the Controls for the Heart of the Sun et A Saucerful of Secrets à la verticalité planante, comme la retranscription musicale de 2001, l’odyssée de l’espace. Avec More, le groupe signe sa première BO. Pas vraiment un album, donc. Des instrumentaux déviants – Cirrus Minor Main Theme, Quicksilver –, mais quelques sucreries pop adorables comme Green Is The Colour et Cymbaline. La même année le groupe s’attèle à un nouveau projet : le double album Ummagumma. Une face live, une face studio. L’entreprise n’a rien d’originale. Cream avait fait de même l’année d’avant avec Wheels of Fire. Résultat en demi-teinte pour le célèbre power trio qui avait excellé côté studio pour livrer, sur la face live, des jams un tantinet rébarbatives. S’agissant d’Ummagumma, les choses s’inversent. Si la face studio propose à l’auditeur des thèmes écrits et joués par chaque musicien – à la manière du White album –, c’est pour mieux le plonger dans l’ennui. La composition de Rick Wright s’enferme dans une abstraction dépourvue d’émotion – un moindre mal pour Pink Floyd –, pire ronronnante au regard des titres passés que le groupe rode merveilleusement en tournée. Sysyphus déçoit d’autant que Wright reste sans doute l’âme musicale de Pink Floyd, au sens noble du terme, évoluant aussi avec aisance vers des rivages plus pop. Le dernier titre, composé par Nick Mason, s’il amuse avec son titre prometteur (The Grand Vizier's Garden Party), provoque chez le même auditeur un spleen profond, sans une once de poésie. Comme il en a désormais l’habitude, Roger Waters joue la carte folk avec Grantchester Meadows, chanson belle d’indolence, mais frustre aussitôt avec le bruyant et inutile Several Species Of Small Furry Animals Gathered Together – tout le monde s’endort à ce moment précis – In A Cave And Grooving With A Pict. Mais alors, que garder dans ce disque qui semble si mal partir ? Deux aspects font de Ummagumma un album rien moins que fondateur. D’abord, The Narrow Way, longue plage découpée en trois parties, signée David Gilmour. Le thème apparaît comme ce qu’il y a de plus intéressant, mélodiquement parlant, sur cette face. Il oscille entre moments de grâce et expérimentation maîtrisée, mais il va plus loin. The Narrow Way préfigure – invente même ! – sans que l’on s’en rende vraiment compte le son que le groupe adoptera la prochaine décennie, à partir de Meddle. C’est dire l’importance de ce cette face b ! Deuxième point, Pink Floyd s’avère aussi passionnant en studio – avec toute la technique que ce dernier autorise – que sur scène à contrario de beaucoup de groupes, incapables de concilier les deux. Et tout ça en quatre morceaux revisités, surtout Astronomy Domine, seul représentant de la période barrettienne, et Careful With That Axe, Eugene qui avait eu l’honneur d’une sortie en single. On retrouve les incontournables épopées, Set The Controls For The Heart Of The Sun et A Saucerful Of Secrets qui gagnent ici en densité. Au passage, mention particulière aux moyens que le groupe sut mettre dans ses tournées – voir l’impressionnante photo « on the road » au dos du pressage vinyle. Sans être virtuose à l’image de ses homologues du prog rock, le groupe apparaît soudé, inventif, rédigeant bien avant Hawkwind les premières pages de ce que l’on serait tenté d’appeler le space rock. En 1967, Pink Floyd était le meilleur groupe psyché parce que singulier. En 1968, il était le meilleur parce que retors. En 1969, il restait le meilleur parce que les autres avaient déjà lâché l’affaire, hormis Soft Machine. Pendant toutes les seventies et malgré l’arrivée des King Crimson, Yes, Genesis, Van der Graaf Generator, Pink Floyd régnera en maître incontesté. Jusque dans les années de punk où il arrive malgré tout à sortir des chefs-d’œuvre, Animals à la rigueur, mais surtout The Wall. L’album syd barrettien par excellence ! Alors retenons pour l’éternité Ummagumma comme pierre angulaire d’une discographie qui n’avait pas encore réservé toutes ses surprises. Ummagumma, pas tout à fait palindrome comme le Aoxomoxoa du Dead, plutôt métaphore sexuelle de la jouissance selon un de ses roadies de l’époque. C’est peu dire que l’album fécondera par la suite l’imaginaire du groupe.
Pink Floyd, Ummagumma (Emi-Harvest)
https://www.youtube.com/playlist?list=PLBsdrStCgZ2S9vRXY6SqeH_GpZ94cuKio
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