V des Horrors est l’album que James Murphy – alias LCD Soundsystem – aurait dû écrire et sortir à la place de son rêve américain, joli mais trompeur. Les Horrors vivent leur ascension. Renouvèlement et audace sont leurs mamelles nourricières. Le groupe de Faris Badwan sera passé, en quelques années, de gentil combo garage goth au statut envié de formation contemporaine, rien de moins. Est-ce à dire que le leader de LCD demeure un novice dans l’art de mêler rock brut et expérimentations, que nenni. Cependant, à trajectoire quasi identique – période, nombre d’albums –, les Horreurs auront prouvé qu’un groupe aussi attendu soit-il, pouvait se réinventer à force de persuasion et d’intuitions. Là, où Murphy nous revient avec un album décent mais prévisible, les Horrors repoussent un peu plus les frontières, déjà ouvertes, de leur quête esthétique. Encore plus de synthés avec quelques guitares – comme LCD –, mais surtout un art consommé de l’enregistrement qui les propulse dans un futur pop évident, alors que ces nouvelles chansons empruntent aux grandes figures du passé. La force de James Murphy étant la voix et son corolaire, l’émotion, ce sont logiquement les chansons les plus lentes qui permettent à son album de relever la tête (Oh Baby, I Used To). Pour le reste, les titres les plus dansants lorgnent trop vers le passé, du moins vers ce que LCD Soundsystem sait le mieux faire et/ou a déjà fait. Tandis que le quintet de Southend-on-Sea parvient à effleurer l’ineffable tout en faisant danser. Mais cette transe, pour réelle qu’elle soit, se veut plus mouvante, plus élastique. À l’image des visages malaxés par l’artiste Erik Ferguson. Le duo Hologram/Press Enter To Exit constitue une entrée en matière – c’est le cas de le dire – idéale, toute à la fois majestueuse et incisive. Machine par son hermétisme voulu ne marque pas suffisamment les esprits quand bien même son parti-pris étonne. Ghost démarre sur un tempo extatique, presque funèbre cependant traversé d’éclairs annonciateurs de l’explosion quasi informatique survenant à la moitié de la troisième minute. C’est précisément cette direction que Murphy aurait dû explorer. D’autant que la robotique appliquée à la musique s’avère son principal terrain de jeu. Dans Ghost il y a tout, du Iggy Pop mais aussi du Kraftwerk, du Tangerine Dream, du Silver Apple. Point Of No Reply est comme un baume qui apaise en renouant avec une structure plus classique sur le plan pop. La suite du disque s’ouvre ave Weighed Down qui demeure avec Machine l’un des moments légèrement en dessous de ce somptueux disque. Moment rattrapé et avec quelle force par Gathering. Sans doute le meilleur titre. Étrange constat que de découvrir les Horrors dans un format plus convenu – guitare acoustique, basse rondelette, voix ample et droite, batterie mate – avec couplets et refrains. Même si quelques flèches synthétiques viennent déchirer ce beau tableau, le groupe ne dévie pas. Il reste intact, dans un paysage de chair et de sang. Porté par une émotion libérée. World Below en trois minutes vingt repart vers les cimes, sans jamais laisser les pieds quitter la piste de danse. It's A Good Life est de loin le titre qui ressemble le plus aux grandes chansons de Depeche Mode auquel on compare souvent nos musiciens sur V. Ce qui ne les empêche pas, au bout de quelques minutes comprimées, de clamer le refrain. Something To Remember Me By vient refermer dignement l’album dans une boucle de basse obsédante. Toutes ces chansons, dans l’esprit, auraient pu se retrouver – certes à quelques détails près – dans American Dream. Son créateur, James Murphy, pourtant défenseur d’un rock parfois vilipendé, aurait été légitime dans ce registre que les Horrors pratiquent, eux, avec un naturel désarmant. Avec comme principale figure de proue la voix grave mais claire de Faris Badwan, toute aussi poignante que celle de Murphy, et constituant à bien des égards l’un des charmes de ce disque une fois de plus très réussi. Pour finir, disons ceci : peu de groupes parviennent à perdurer. On pourrait encore citer aux côtés des Horrors, Arcade Fire (dont les carrières sont quasi parallèles), et plus récemment Tame Impala. Que leur réservera l’avenir ? L’accomplissement ou l’effondrement ? Difficile à dire. Toujours est-il que les Horrors sont arrivés à se hisser au plus haut rang, s’affirmant sans sourciller comme le groupe anglais le plus passionnant de la décennie. Constant, innovant, besogneux. Horreurs, malheur ? Oh que non !
The LCD Soundsystem, American Dream (DFA-Columbia)
https://www.youtube.com/watch?v=zKeJFxwuBBE
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