Courtney & Kurt, affiche crânement la pochette de l’album. Love & Cobain. Telle est l’image qui vient de surgir de façon fulgurante. Il fallait oser. Cependant loin du couple infernal dont les affres défrayèrent jadis la chronique, cette dernière consacre un nouveau duo, jeunes hérauts de la scène indé : Courtney Barnett et Kurt Vile. C’est une tradition du rock et de la pop, vieille comme le monde, mais qui n’en finit pas de se réinventer au fil des combinaisons. On connaissait Simon & Garfunkel, Sam & Dave, Sonny & Cher, Nancy & Lee. Plus pointus Hall & Oates, Delaney & Bonnie, Dillard & Clark, Keith Cross & Peter Ross, Batdorf & Rodney, Beaver & Krause. Mais Barnett & Vile ne se laissent pas intimider par cette prestigieuse lignée. Ils n’en ont cure, même. Les voilà donc qui déboulent avec un premier album – on espère qu’il y en aura d’autres –, réduit à l’extrême : neuf chansons, deux reprises. Kurt Vile en signe quatre, Courtney Barnett plus modestement en propose trois. Mais n’allez pas y voir une forme de compétition, ce n’est pas l’esprit de l’album qui n’en manque pas. L’amitié demeure le ciment de ce Lotta Sea Lice, littéralement Beaucoup de poux de mer – d’après une anecdote rapportée par Stella Mozgawa, batteur chez Warpaint. Pourtant nos deux singer-songwriters ne passent pas le disque à se chercher des poux. Pas plus qu’ils ne querellent par guitares interposées. Au contraire, ils se racontent avec une décontraction telle que l’on se prend à leur petit jeu, servi pour le coup par d’excellentes chansons. Laidback, c’est l’ambiance qui a dû présider à l’écriture et l’enregistrement de leurs compositions. Mais chose étonnante, on a l’impression, tenace, que les deux musiciens ont inversé les rôles. Vile qui était habituellement un bluesman n’aimant rien tant qu’étirer ses morceaux, se révèle en compositeur pop, avec ses mélodies limpides et immédiates. Barnett que l’on avait découvert mutine sur son premier long, explore ici des territoires plus âpres mais réellement passionnants. Si l’on y prête un tant soit peu d’attention, tout cela se lit d’emblée sur la pochette. Venons-en à la pochette, tiens. C’est un passage obligé et même la clé d’entrée. Noir & blanc décliné en arrière-plan, sur les grattes et jusqu’aux sapes. Patronymes de l’un collé sur la bobine de l’autre. L’entourloupe a tout du coup de génie. D’autant que l’émotion pure relie les deux artistes. À commencer par Kurt qui nous touche dans le mille avec Continental Breakfast et son histoire d’amitiés hors frontières. Courtney ose le sérieux tout en apesanteur sur Let It Go. Et réitère l’exercice sur ce monolithe impavide, minéral et pourtant chouette qu’est On Script. Idem pour Outta the Woodwork qui sonne comme un vieux Neil Young bougon là où Vile touche au sublime enjoué sur Blue Cheese. À la manière d’un Lou Reed presque avenant, tel qu’il s’était présenté l’année 76 sur Coney Island Baby. C’est à n’en point douter l’un des meilleurs moments de l’album, la chanson la plus émouvante de Kurt Solo – bien qu’elle emprunte son riff d’intro à Tree House de Timebox. Et la plus drôle itou, avec ses couplets en forme de « na-na-nè-res » ! Grand seigneur, Kurt offre la perle de l’album à sa copine. Seule sur Peepin' Tom, Barnett y fait des merveilles. Sa guitare sonne comme pas deux, sa voix y trouve des inflexions nouvelles. Les paroles, elles, éclatent dans leur bouleversante sincérité. « She wa a Tomboy ». « Elle était un garçon manqué », comme Courtney peut-être. Sans doute. Le miracle tient au fait que tout le reste est à l’avenant. Même les reprises, bien choisies, leur vont comme des gants. Surtout Untogether. Ah, quelle ironie, quel humour, quelle classe ! "En dehors", alors qu’ils étaient tous deux de cette sublime et généreuse aventure. Et finir ainsi, on jubile, on pleure et on rit. Une fois terminé, on a qu’une seule idée : remettre cet album de potes au début, de fondre à nouveau devant la beauté simple de Over Everything, de louer sa longueur qui seule arrive à définir le bonheur. Le nôtre. Quelques minutes après, on replonge dans l’ambiance de ces diners ponctuant les autoroutes, aux cafétérias d’aéroports, aseptisées mais confortables, sans oublier les hôtels et le plaisir simple d’un Continental Breakfast avalé avant de repartir en tournée colporter la bonne parole rock. Un art du vécu qui fait mouche, bien évidemment. Comme tout le reste de l’album, au fond. On se répète mais on tient là une paire de rockeurs comme on n’en fait plus. Ils étaient déjà bons seuls, pensez à deux. Leur réunion tient de l’union. Pour le meilleur et pour le pire ? Tant pis. On prend quand même, et plutôt deux fois qu’une.
Courtney Barnett & Kurt Vile, Lotta Sea Lice (Marathon Artists-PIAS)
https://www.youtube.com/watch?v=wHCtH15dpmU
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