Peu de groupes peuvent s’enorgueillir de voir leur discographie qualifiée d’aventure. L’aventure Pink Floyd, certes. Évidemment. Arcade Fire appartient depuis 2004 à cette catégorie restreinte. Pour avoir repoussé, disque après disque, les frontières étroites de sa propre histoire. Tout maintenant. Voilà bien un titre qui résonne comme une prophétie, mieux comme un second testament, un évangile. Le début de quelque chose d’autre. Cependant il semblerait que le liant n’ait pas réellement pris, le groupe n’ayant pas totalement réalisé sa mue mainstream telle que le promettait son précédent Long Player, Reflektor. Au fil des treize titres qui composent Everything Now, à mesure que l’on entre dans le disque, tout semble avoir été fait pour nous en faire ressortir. Un seul single, le morceau titre. S’en suit une enfilade de chansons dépourvues de mélodies, bien produites mais sans réel intérêt ni enjeu. Et c’est là que le bât blesse. Ce que nous avions aimé chez Arcade Fire a désormais disparu : les mélodies, l’émotion. La chair même d’une chanson. Ce qui l’a fait exister puis demeurer. La faute n’incombe pas tant à la production et au-delà, au désir – légitime – de s’inscrire dans son temps, d’épouser la modernité. Michka Assayas écrivait à propos de Roxy Music, qu’un groupe de rock se devait de fonder l’esquisse d’un classicisme. Sans doute Arcade Fire a-t-il fait sienne cette réflexion, mais sans aller jusqu’au bout, sans parachever cette transformation si rarement observée dans le monde de la pop et que des musiciens comme Bowie avaient pourtant accomplie. Il faut se rappeler le choc de Funeral en cette année 2004 ou les Strokes, seuls dépositaires d’un rock à guitares, s’étaient presque évaporés. En dix compositions, la messe était dite. Oh, la bande de Win Butler n’avait rien inventé, tout juste avait-elle remis au goût du jour ces instruments antiques, naguère préemptés par la folk la plus traditionnelle : violon, accordéon… Neighborhood #1 (Tunnels) auquel s’enchaînait en maillon fort Neighborhood #2 (Laïka) constituait cette porte d’entrée d’une musique indie privilégiant le sauvage au détriment de l’intellectuel, quelque chose d’à la fois crépitant et charnel, électrique et sensitif que des paroles très personnelles rendaient d’autant plus authentiques qu’elles nous arrachaient au passage quelques larmes. L’éros à la place du pathos. La formule du groupe – duo de leaders homme-femme, musiciens complets et interchangeables, format orchestre et diversité instrumentale – si elle n’était pas neuve possédait un charme suffisant pour réveiller le petit monde sclérosé des fans et de la critique. À partir de là, le groupe avait franchi étapes et obstacles avec un certain panache – ce mot leur allait si bien. En studio, sur scène, rien ne semblait leur résister. Neon Bible approfondit l’esthétique propre au sextet, déployant davantage de richesse sonore et de trésors mélodiques. The Suburbs posa les bases du changement. Ce glissement inéluctable vers l’universalité pop. Ce double album réalisait certains désirs du groupe, comme d’embrasser des sons plus modernes. Sprawl II s’en était fort bien tiré précisément parce que le songwriter était une fois de plus au rendez-vous. L’album suivant, Reflektor, allait sceller le sort du groupe. Celui-ci serait éternel ou disparaitrait. Ce fut un franc succès, ici mérité. Encore et toujours le groupe arrivait à déjouer les pronostics parce qu’il avait avec lui l’inspiration et le cœur, la fougue et l’âme. Normal Person, You Already Know, Afterlife. Et puis voilà qu’arrive Everything Now où le groupe s’être "U2isé". Comme prisonnier de ses propres ambitions. Là où Tame Impala avec Currents a passé l’épreuve haut la main, Arcade Fire s’est pris les pieds dans le tapi du progrès. Progrès devenu une sorte de progressisme vain, la religion du pas en avant – ce pas de trop ? Il a bien dans ce cinquième album quelques moments intéressants, l’entame en forme de trio de tête de Everything Now, Signs of Life et Creature Comfort où le groupe s’essaie au hip-hop. Sur la fin, Good God Dawn et Put Your Money on Me – sans doute le meilleur titre – se démarquent péniblement de l’ensemble. On passera sur la tentative, avortée car guère crédible, de reggae de Chemistry, mais le reste ne suffit pas à rattraper l’ensemble. Bien sûr, il serait stupide d’en tirer des conclusions radicales. Arcade Fire n’est pas mort et l’aventure n’est pas finie. Il est bien sûr permis à un groupe ayant réussi quatre albums de suite de fauter, voire de chuter au cinquième. Quelle autre formation pourrait revendiquer pareille prouesse ? Mais pour les fans que nous sommes tous au fond, c’est la déception. La douche froide. Où est l’énergie romantique des précédents albums ? Où est la mélancolie punk de Funeral ? La pop en trompe-l’œil, parce qu’éminemment glam, de Reflektor ? Sans doute faudra-t-il attendre leur sixième effort pour obtenir ces réponses. Prenons les Doors en exemple : à l’aube du quatrième disque, The Soft Parade, changement de cap, tous cuivres dehors. Le groupe déçoit. Et il faudra deux livraisons pour réparer les dégâts et retrouver le mojo. Est-ce à dire que l’erreur, le fourvoiement sont des données inscrites dans la destinée d’un groupe ? Peut-être. Ce sont là des choses fondamentalement humaines. Alors restons bienveillants vis-à-vis de Everything Now, qui n’est pas tout. Mais qui n’est pas rien. Et même si nous sommes tentés, à son écoute, de prononcer ces mots honnis « Arcade Fire, c’était mieux avant », ne détournons pas nos regards de l’horizon. C’est au moins le très bel enseignement de la pochette du disque. Déjà ça !
Arcade Fire, Everything Now (Columbia)
https://www.youtube.com/watch?v=zC30BYR3CUk
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