Love, pop fellinienne

par Adehoum Arbane  le 08.08.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

Des clavecins moussant en cascade, des espagnolades à la mode californienne, on aurait pu en rester là. Bien que rigoureusement exactes, ces quelques impressions négligent l’essentiel au détriment du particulier. Da Capo au deuxième rang de la discographie de Love en cette année 66 si décisive, s’oriente malgré son nom vers un pays, mieux un homme, pour en ressortir nanti d’un adjectif des plus précis : Da Capo invente donc une pop fellinienne. Certes Orange Skies, signé Bryan Maclean, vise une forme de tropicalisme californianisé. Idem pour Que Vida, ceinturé de points d’exclamation. On ne parlera pas du flamenco à la sauce baroque nappé de clavecin qui s’invite, tranquille, sur The Castle. Alors Federico ? Oh que oui. Pour cet alliage entre sophistication, maniérisme et boursouflure chamarrée. Mais revenons aux origines. Quand Love déboule sur la scène pop à L.A., c’est un ovni que vient de signer le patron d’Elektra, Jac Holzman. Pensez ! Le premier groupe de rock interracial comprenant un leader noir charismatique, Arthur Lee, un guitariste idoine au style ciselé en la personne de John Echols, l’ange blond dietrichien Bryan MacLean et deux blancs-becs à la section rythmique, Ken Forssi et Alban "Snoopy" Pfisterer. Malgré son petit côté byrdsien, douze-cordes cristallines tout de go, le premier essai éponyme pose les bases, soit un songwriter singulier et une interprétation rock cependant tout en finesse. Holzman dira de ce disque qu’il sonnait comme le groupe en live. Fin 66, Love revient en studio avec un paquet d’idées. Le line-up bouge, Michael Stuart, fraîchement arrivé, s’installe derrière les fûts. Snoopy passe lui aux claviers. Tjay Cantrelli quant à lui occupera la position du flûtiste saxophoniste, et ce bien avant Ian Anderson de Jethro Tull ou Dave Mason de Traffic. Love s’avère un groupe créatif, que les choses soient claires. De la même manière que Fellini se réclame du nouveau cinéma, brouillant les frontières entre réalité, rêve et hallucination, Love se fait un malin plaisir à transgresser un rock en pleine gestation. Comme Fellini, le groupe force le trait de l’artificialité au travers d’arrangements précieux, parfois grandiloquents – le pont joué au clavecin de The Castle – mais avec un naturel qui préserve l’œuvre d’une emphase dont le soft psychédélisme et la sunshine pop usent et abusent. Les qualités des chansons annihilent ainsi tout pouvoir critique. Certes Stephanie Knows Who qui ouvre l’album dénote par sa fantaisie psychiatrique, toute fellinienne, offrant des cassures et des syncopes transcendées par le chant démoniaque d’Arthur, véritable faune lubrique. C’est sans doute pour cette synthèse entre le velours de la pop et la brutalité féline du rock qu’on peut le rapprocher d’un Phil Lynott, plus que d’un Hendrix. Idem pour Seven & Seven Is qui malgré sa courte durée – tout juste deux minutes – porte le rock de Love vers des sommets atomiques – on songe alors à une version littérale de Mushroom Clouds. Personne ne s’est jamais remis de l’attaque de basse, de la batterie urgente et de ce riff en tourbillon hard surf. La magie de Love est de proposer, en guise de repos auditif, des sucreries divines - Orange Skies, !Que Vida!, The Castle, She Comes In Colors – pour faire retomber la pression. Mêmes tonalités acidulées que dans Ginger et Fred ou Roma. Suavité légère, presque imperceptible dans laquelle l’esprit vient se draper, puis s’abandonner. Ça c’est pour la face A. La face B se trouve intégralement occupée par un morceau, Revelation, première tentative du genre – les Stones ont fait pareil mais en plus court avec Goin’ Home sur Aftermath. Revelation ne peut s’empêcher de rappeler les grosses dames qui peuplent Amarcord. Bien sûr, comparaison n’est pas raison. Revelation est avant toute chose une tentative d’expérimenter un thème, de le jouer, le dilater pour voir ce qu’il adviendra. C’est à l’évidence une posture éminemment doorsienne. C’est peu dire que ce morceau dénote, détone. Au-delà même de la longueur fort peu usitée, donc, il s’agit d’une vraie fausse jam ouverte par une fausse vraie pop song. Coincé entre deux parenthèses de clavecin, Revelation ne semble pas trop à l’étroit, c’est le moins que l’on puisse écrire. Il se paie le luxe d’une déclinaison "progressive" passant par tous les stades, du bon vieux rock’n’roll des familles à la musique indienne, imitée quant à elle de manière fort convaincante par le saxophone serpentiforme de Tjay Cantrelli. Ainsi se termine Da Capo : en beauté. On connaît la suite, le projet pharaonique de Forever Changes, les tensions qui traversent dès lors le groupe, l’emploi provisoire des musiciens du Wrecking Crew et la fin de la toute première et meilleure période de Love. Sans reconnaissance populaire, le groupe vivotera discographiquement jusqu’à la séparation pour se reformer des décennies plus tard, cédant au passage au rituel du grand Live Hommage, avant de s’arrêter tout net avec la mort d’Arthur Lee. Destin fellinien en diable pour le premier hippie noir, comme il se plaisait crânement à l’affirmer.  

Love, Da Capo (Elektra Records)

love - da capo 1967 front.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=iz6VfFNLAlM

 

 

 

 

 

 


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