Flotation Toy Warning, flottement de 13 ans

par Adehoum Arbane  le 04.07.2017  dans la catégorie A new disque in town

Ne dit-on pas « se faire attendre, c’est se faire désirer » ? Dans le cas de Flotation Toy Warning, le désir vire d’emblée à l’excitation priapique. Car il aura fallu patienter treize ans entre leur cultissime premier album, Bluffer's Guide To The Flight Deck, et son successeur, The Machine That Made Us. C’est peu dire que malgré les années, Paul Carter et sa bande font preuve d’une belle constance, retrouvant avec le goût de la composition ces mélodies alambiquées dont ils avaient le secret. Chaque chanson s’apparente à un attelage où s’arriment couplets et refrains, où gazouillent et foisonnent, à chaque seconde, mille et une idées. À chaque fois on a cette heureuse impression d’ouvrir une poupée russe, et de tomber sur un avatar en concentré harmonique, comme sur l’introduction de "Controlling The Sea". Cela tient à plusieurs points, constitutifs de l’art du groupe. Au premier chef, le temps. Ici, on ne le maîtrise pas, du moins le laisse-t-on filer au-delà des standards de l’acceptable – sous-entendu radiophoniques. Sur dix titres, six dépassent la barre limite des cinq minutes (deux chansons se cantonnant au format court). Précision faite, elle a ceci d’important qu’elle éclaire sur l’ambition générale des musiciens. Le deuxième élément – et il compte par ces temps de disette musicale – est la richesse des instruments conviés, en plus des grands classiques guitare-basse-batterie. C’est une vieille tradition de la pop anglaise que d’explorer le plus de couleurs possibles – les Beatles l’avaient fait sur Revolver puis Sgt Pepper’s dont nous fêtons cette année les cinquante ans. Ainsi, sur le deuxième morceau que l’on s’interdit de citer, lecture fluide oblige – oh et puis tant pis, il s’agit de Due To Adverse Weather Conditions, All Of My Heroes Have Surrendered –, ce sont les claviers et cuivres qui se taillent la part du lion. On pourrait essayer en vain d’établir des connexions avec l’âge d’or de la pop sixties, mais on pense aussitôt à Neutral Milk Hotel, en plus rond peut-être. Loin de s’arrêter là, Carter sort de son coffre à jouet piano, claviers en tout genre. Mieux, les musiciens jouent de leurs propres voix (I Quite Like It When He Sings), tantôt trafiquées, souvent déclamées à la manière des opéras comiques, comme une bande originale des Monty Python qui aurait rebondi dans le sérieux. Tout cet instrumentarium se met au service des chansons, cela va sans dire, mais se consacre bien plus à l’émotion inhérente à ce style de musique. Si Everything That Is Difficult Will Come To An End opte pour la mélancolie dilatée, To Live For Longer Slides s’égare volontairement vers des rivages heureux. Toujours la musique de Paul Carter donne l’impression d’hésiter entre tristesse et bonheur, cette impossibilité à trancher semble voulue. Flotation Toy Warning n’aime rien tant que jouer avec ses auditeurs, c’est même le principe, voire la philosophie de sa pop à tiroirs, eux-mêmes rangées dans un gigantesque comptoir d’apothicaire. Dire à ce stade que nous sommes peu habitués à ces constructions-là est un doux euphémisme. Psychédéliques, ou peut-être progressives, celles-ci se pratiquaient naguère et resurgissent de nouveau, avec éclat. Et c’est le troisième et dernier point, caractéristique du son Flotation Toy Warning : la dimension contemporaine. A Season Underground porte bien son nom qui joue, tout comme King Of Foxgloves, la carte du futurisme. Déjà, sur le Bluffer's Guide To The Flight Deck, on avait été saisi par cette façon d’enregistrer la batterie, à la lisière de l’électro. Imaginez un galop de cheval reproduit comme dans Monty Python and the Holy Grail – décidément, encore eux – et trafiqué ensuite en studio, et vous aurez un aperçu de leur esthétique. C’est donc la grande réussite de ce groupe, et une gageure ! Invoquer la pop antique, britannique en diable, et la plonger aussitôt dans le grand bain de la modernité – comme dans le tunnel final de The Moongoose Analogue. Chaque minute consacre cet idéal de notre temps, la volonté d’y appartenir sans céder en rien aux facilités en vigueur et qui façonnent souvent des formations placides aux productions désincarnées. Chez Flotation Toy Warning, être actuel n’interdit pas la fantaisie comme sur le très étrange, voire quasi abstrait Driving Under The Influence Of Loneliness. Ici, on tient un Welcome To The Machine à la sauce Joy Of A Toy pondu par les cousins de Postal Service. Une décennie après, chapeau !

Flotation Toy Warning, The Machine That Made Us (Talitres)

Flotation_Toy_Warning_-_The_Machine_That_Made_Us 2.jpg

https://talitres.bandcamp.com/album/the-machine-that-made-us

 

 

 

 

 


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