Dion, le monde perdu

par Adehoum Arbane  le 25.07.2017  dans la catégorie C'était mieux avant

1965 fut une année charnière, la médiane entre l’ancien et le nouveau monde. Avant 65, c’est la résilience du rock’n’roll, la suprématie du single. Après 65, l’avènement de la pop et de son corolaire, le psychédélisme. Cette année-là donc, Brian Wilson – accessoirement accompagné des Beach Boys – sort Today, marchepied vers Pet Sounds. Les Fab entament leur trilogie pop moderne avec Rubber Soul – en vérité ils avaient publié la même année « Help ! ». Idem pour Dylan qui se chauffe avant Blonde on Blonde, fomentant sa révolution électrique sur Bringing All back Home et Highway 61 Revisited. Pendant ce temps-là, Dion DiMucci qui a quelques heures de vol au compteur – il débute la carrière en 1957 avec les Belmonts – enregistre dans le plus grand secret un album entier, Kickin' Child, qui ne verra jamais le jour. Produit par l’irremplaçable Tom Wilson pour Columbia – le label de Dylan –, il se trouve exhumé en cette année 2017 qui voit le summer of love fêter ses cinquante ans. À l’écoute de l’album, point de découverte. On ne verra pas dans Kickin' Child un tremplin pour l’acid-pop du sergent poivre. Cet artefact marque bien la fin d’une époque qui avait vu le jeune singer-songwriter exceller dans un genre savoureux de rock italo-new-yorkais – lui et sa bande venaient du Bronx –, mélange idéal de pop fringante et de doo-wop langoureux qui contribuera aux succès des Belmonts. De ces années fastes mais somme toute oubliées, Dion conservera ce goût pour une certaine forme d’élégance qui sourd dans chaque recoin de ce disque riche – quinze morceaux savamment arrangés – qu’on pourrait aisément taxer de sommet. Sans verser dans la nostalgie lacrymale, disons que Dion renoue ici avec la fraîcheur des premiers enregistrements des Beatles. La comparaison, pour fastidieuse qu’elle soit, relèverait habituellement de la tautologie. Elle se veut cependant rigoureusement exacte. C’est davantage pour la spontanéité naïve de l’ensemble et pour l’aspect dimensionnel du son que l’on songe aux premiers succès des Beatles. Kickin' Child débute dans le confort moelleux du studio, guitares acoustique et électrique à l’unisson, comme un hommage au blues, mais avec la volupté vocale de Dion. Introduction qui renvoie symboliquement, dans un carambolage de références, au Birth of Cool davisien. Charmeur, éminemment dansant le morceau titre s’impose d’emblée comme le scintillant néon donnant immédiatement envie d’entrer dans le club de Dion, et de courir illico vers la piste où les corps se mélangent déjà. Au fil des titres, Dion fait montre d’une aisance totale. Rock fiévreux, mid-tempo enlevé ou ballade, celui-ci assure dans tous les genres. Tout comme les quatre de Liverpool – déjà très pros –, capables de pondre dans l’insouciance générale Twist And Shout, P.S. I Love You et Do You Want To Know A Secret sur leur premier long, It Won't Be Long, All My Loving et I Wanna Be Your Man sur leur second. C’est peut-être dans le registre sentimental que le musicien s’accomplit pleinement comme en témoigne I Can't Help But Wonder Where I'm Bound – signé Tom Paxton –, tout de chœurs vêtus.  Sur Wake Up Baby, Dion récidive mais en jouant les jolis cœurs à la manière de Roy Orbison. Cependant, la différence se joue sans doute en creux, Dion n’ayant pas en 1965 signé son Please Please Me ou son Love Me Do, quoique. Tomorrow Won't Bring the Rain postule à l’évidence au titre d’hymne, tant son refrain d’une évidente clarté résonne dans les esprits. En revanche, à contrario des Fab, les quelques reprises sélectionnées par Dion emportent immédiatement l’adhésion, surtout sa version si graphique de It's All Over Now, Baby Blue, avec son glockenspiel céleste. Sans doute la meilleure relecture de ce classique dylanien. D’un ensemble dense se détachent donc et pour le plus grand bonheur de l’auditeur Now, My Love, Time in My Heart for You, Knowing I Won't Go Back There, le Farewell de Zimmerman et You Move Me Babe. Bien sûr il ne faudrait pas passer sous silence le travail de Tom Wilson, sorte de Arthur Lee de la production. Le maître y fait des merveilles. Quoi de plus logique, puisqu’il produira – entre autres – pour l’éternité le premier Velvet et le Chelsea Girl de Nico, Freak Out de Zappa et de ses Mothers, l’album éponyme de Soft Machine et même ces chefs-d’œuvre oubliés du psychédélisme que sont The Fraternity Of Man et Flashes de Ill Wind ! Pour accompagner le chanteur, Wilson décide de sortir clavecin et percussions mais avec un sens de l’économie qui rehausse les chansons sans les obérer. L’essentiel est ailleurs. Chez Dion en personne, crooner pop avec de l’or dans la voix.

Dion, Kickin’ Child (Norton-Columbia)

Dion-Kickin-Child.png

https://www.youtube.com/watch?v=8tb-cIVSikI

 

 

 

 

 


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