On parle souvent des musiciens de second plan – l’expression ne se veut pas péjorative – en ces termes : untel est le Dylan anglais, un autre le Hendrix du pauvre. Ainsi en va-t-il de Tom Rapp, leader du groupe d’acid-folk Pearls Before Swine, qu’on pourrait qualifier de Macron de la chanson. Fut-il banquier, conseiller, ministre ou président ? À l’évidence non. L’analogie tient à si peu, à ce chuintement dans la voix de l’artiste qui dénote quelque peu à l’écoute de la musique si délicate qu’il écrivit et joua avec son groupe ou sous son propre patronyme, entre 1967 et 1973. Ici, c’est-à-dire en l’an de grâce – et quelle grâce – 1971, Tom Rapp signe ses albums de son nom auquel s’ajoute celui de son groupe, car c’est avec lui –et le label ESP, sorte de ECM du folk – qu’il a construit sa réputation. Sur ce sixième effort, le quatrième signé chez Reprise, Tom Rapp glisse tranquillement vers la musique de songwriter si chère à la nouvelle décennie soixante-dix tout en conservant cette part de magie ineffable qui faisait le charme de ses premiers disques. Tout le monde – enfin le petit monde des fans – se souvient du merveilleux One Nation Underground, de sa pochette empruntée à Bosch et surtout de ses chansons acoustiques, délicieusement agrémentées d’un orge farfisa qui conférait à cette musique traditionnelle des accents acidulés. Beautiful Lies You Could Live In renonce à cette orientation, mais s’enrichit d’une production plus chaleureuse – plus rock peut-être – avec ses parties de piano ouvrant à Tom Rapp la porte de la cour, non pas du château, mais des grands. Entre Van Morrison et Dylan, avec des refrains droits comme une aurore (Simple Things, Everybody's Got Pain), Rapp ne trahit en rien cet art dont lui seul a le secret et qui le rapprocha naguère des anglais de Incredible String Band. Conviction renforcée par l’étrange beauté de la pochette où l’artiste a retenu l’Ophélia de John Everett Millais. L’entame de Snow Queen rassure d’ailleurs sur l’orientation musicale qui prévaudra par la suite, tout au long des trente prochaines minutes. Bien évidemment, on reconnaît le défaut vocal du maître qui a sans doute, bien malgré lui, façonné le son Pearls Before Swine. Sans jamais l’entraver. Il faut dire que l’écriture de Rapp, à la fois racée et ciselée, lui permet de passer outre et de marquer immédiatement les esprits. Comme sur Butterflies qui n’en manque pas. Alors que la face une se termine parfaitement, le maître cède devant l’une des grandes figures tutélaires et poétiques de l’époque, Leonard Cohen, dont il reprend le Bird On The Wire sur un mode plus trivial que l’original, comme s’il s’agissait d’une chanson de marin. Immédiatement, il retrouve l’équilibre avec le troublant Island Lady et ses motifs de piano pesés au trébuchet mais qui toujours font mouche, touchent les cœurs. Sans parler des guitares frissonnant au milieu de ce canevas nimbé. Come To Me déboule sans prévenir, avec sa rythmique cool, élastique, simple dans ses moindres aspects et à la fois splendide. Tom Rapp, ancien héros de l’acid-folk reconverti en petit prince pop, binoclard randyesque. La force de l’album réside bien dans cette alternance entre tempos enjoués et ballades éthérées, parfois très prenantes comme sur Freedom où le musicien s’accompagne de cordes, non surabondantes, mais majestueuses. À ce stade, nous sommes dans l’enluminure absolue, et Tom Rapp l’américain de se muer en trouvère anglais. Une fois n’est pas coutume, She's Gone revient à une élégance plus enrobée, très seventies. Nul besoin de s’étendre, la chanson dépasse à peine les deux minutes. Peu importe, elle atteint très vite un degré d’émotion tel que l’on se laisse emporter dans cette valse dont le refrain, chanté avec sa femme, désarme, nous laissant ému, sans voix. Sur la fin, quand il est coutume de se quitter, Tom passe la main à sa femme Elisabeth. Celle-ci met en musique un poème de Alfred Edward Housman, le minimaliste Epitaph chanté avec, semble-t-il, le même défaut que son mari, mais une sincérité au moins égale. Épilogue court et poignant. Les années suivantes, Rapp sortira trois albums définitivement privés du suffixe Pearls Before Swine, clôturant ainsi une courte page, à coup sûr des plus passionnantes. L’homme vit toujours, exerçant depuis la fin des années soixante-dix une carrière d’avocat. Un retour aux affaires qui n’est pas sans rappeler, en creux, un célèbre jeune président.
Tom Rapp/Pearls Before Swine (Reprise)
https://www.youtube.com/watch?v=B7HKpFjXMtE
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