Le Saint Graal, c’est la quête d’un objet mythique aux pouvoirs insoupçonnés et que l’on poursuit sans relâche, parfois sans y parvenir. On pourrait dire que Peter von Poehl a trouvé le Graal depuis maintenant onze ans et qu’il tente dès lors de l’entretenir, d’en perfectionner les lignes, de dilater de manière quasi infinie ses nombreuses facultés. Son Graal à lui c’est la pop. Il y a dans sa quête une dimension chevaleresque, et pour d’un héraut comme Peter von Poehl, le Moyen-Âge (d’or de la pop) ne serait aucunement un temps barbare – quelle idiotie de prétendre cela ! Toute la musique de von Poehl est un concentré de raffinement, de courtoisie, d’infimes touches mille fois répétées, superposées et qui confèrent à chacune de ses chansons une magie dont le titre de ce quatrième opus fait ici référence. Sympathetic Magic. Perfection formelle et émotionnelle, splendeur véritablement alchimique pour un art qui aura pris le temps de maturer. Sans doute le musicien a-t-il atteint une forme de quintessence, et la formule la plus précise de ce que serait, dans son esprit, la pop telle qu’on devrait la pratiquer ou l’entendre, selon les vocations. Pour cela, jamais le suédois n’a dévié de son chemin, jamais n’a-t-il fait la moindre concession à l’air du temps. Il toujours su – ou réussit à – intégrer cette foutue modernité, la plier à sa loi pour donner à ses chansons les plus heureux contours, mais également ce supplément d’âme qui rend l’entreprise sincère. D’autant que von Poehl continue d’utiliser l’anglais comme le langage universel d’une musique de plus en plus délicate. Pourtant, la chose d’emblée n’était pas aisée. Ce natif de Malmö vit à Paris, parle un français châtié mais crois en cette identité anglo-saxonne qui a façonné tant de chefs-d’œuvre avant les siens. Il y souscrit d’autant plus qu’il a refusé de suivre l’autoroute de la nouvelle scène française ; grand bien lui a pris. Non pas que cette scène, ces groupes et chanteurs/chanteuses n’apportent rien à la Chanson, au contraire. Mais on sent von Poehl plus à l’aise sur les petits chemins de traverse, les sentiers perçant sous la futaie. De Grubbed Up Pt. 1 à Grubbed Up Pt. 2 qui clot presque l’album, en passant au gré de notre promenade d’auditeur concentré par Inertia, le morceau titre, ou par le dentelé Tired Retainers, le musicien renoue avec la beauté au naturel, dans son plus simple appareil, même si la production d’orfèvre reste l’une de ses marques de fabrique. Marque, signature, les mots ayant un sens, force est de constater que Peter von Poehl peut s’enorgueillir d’avoir une patte, un son, mieux de se soustraire au périlleux exercice des comparaisons et ce, par la seule force de son travail. Et de son imagination. Certes, on continue de songer aux groupes de Canterbury, entre folk, pop et jazz, à la poésie de leur musique faite pour les petits comme les grands espaces. On songe aux pochettes de Caravan, aux paysages verdoyants du Kent, touffus en vitraux de fleurs. Malgré le bleu quelque peu glaciaire de la pochette de Sympathetic Magic, le pointillisme tel un brouillard ne demande qu’à se dissiper pour laisser surgir ces forêts légendaire d’une Angleterre rêvée, fantastique, tolkienienne. Son visage elfique se veut le merveilleux paravent d’une sensibilité qui, traduite en notes, couplets, refrains, ne lasse pas de se dévoiler d’un mystère à l’autre. Garant des traditions, von Poehl ne s’égare nullement, son album ne dépassant pas les quarante et une minutes, comme à l’époque des grands classiques – Stand Up du Tull, Anyway de Family, Sunshine Superman de Donovan ou le méconnu Give Me Take You de Duncan Browne. Ce n’est pas tant la durée de ces standards qui nous rappellent l’immédiate fulgurance des compositions de von Poehl mais aussi, surtout, cette apparence laiteuse, nimbée, ces guitares en point de croix, ces basses côtelées, ces batteries sourdes, perdues au loin. Au loin, et c’est presque un paradoxe car nous n’avons jamais été aussi près de Peter von Poehl, comme s’il nous contait quelque histoire au coin du feu, entre un crépitement de flamme autour de la bûche et un arpège de guitare. Bien que nous soyons ici, nous sommes déjà ailleurs. Sentiment incroyablement sympathique et magique.
Peter von Poehl, Sympathetic Magic (BMG)
http://www.deezer.com/album/39628081
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