Les enfants terribles chers à Cocteau ne sont pas si ingrats que cela. Fishbach, de son doux prénom Flora, en fait partie. Elle n’a pas choisi d’écrire – des chansons en l’occurrence – pour exorciser tel sentiment, bien que sa musique, sombre et rugueuse, en donne la trompeuse impression. Fishbach a restitué sur son premier album une musique proche de ce qu’elle écoutait étant petite. Et par là-même, elle a souhaité remercier ceux qui lui avaient fait découvrir cette même musique. Soit ses parents. Cette courte anecdote démontre à quel point le ressors de l’éducation, de l’héritage donc, reste puissant. Nous sommes tous le produit d’une éducation, de la somme des valeurs qu’on nous a enseignées, que parfois on cherche à transcender, mais auxquelles on revient invariablement. Du coup, la dimension référentielle, indéniable, dans la musique de Fishbach ne procède pas d’une bête relecture, mais bien d’une forme d’identité. D’autant que Fishbach ne va pas toujours là où on tout le monde semble l’attendre comme nous l’enseigne ce clavecin intrépide, égaré au milieu de l’électronique froide et marmoréenne de On me dit tu. C’est d’ailleurs le beau piège que la jeune musicienne ardennaise nous tend. Des longues ambiances synthétiques, parfois tendues, urgentes, parfois planantes (Invisible désintégration de l'univers) parmi lesquelles s’ébrouent des ballades sensibles, dépouillées qui rendent cette musique, âpre en apparence, des plus inclassables. Le tort de notre époque étant de cataloguer tout artiste – style, scène, école –, la jeune compositrice se fait un malin plaisir de brouiller les pistes, ici nombreuses, qui trament ses chansons. De Invisible désintégration de l'univers au Château, on a déjà franchi plusieurs frontières. Certes, les ambiances y sont différentes, le timbre aussi, sans parler des choix proprement musicaux. Plus touffu, Le Château érige ses tours étincelantes et follement seventies, comme un Versailles piqué à Sofia Coppola. Un beau langage aussi se présente à nous dans des atours à la simplissime splendeur, tout en mellotron, presque cotonneux. C’est peut-être dans ce registre de l’intime que l’on savoure le mieux Fishbach, son masque effarant mais somptueux, sa tendre sensibilité dont les paroles, ultra fouillées, en sont alors le parfait écrin. Cet équilibre entre douceur du marbre et violence jugulaire, Ma voie lactée semble mieux le résumer. Du moins dans son appellation. Quant à la musique, c’est Y crois-tu qui s’en charge par sa puissance. Pour en revenir au propos initial, Fishbach a puisé dans ses souvenirs le sel de son inspiration, le son de son enfance racontant en subtils sous-titres une autre histoire que le texte lui-même. Chacun de ses choix se justifie par l’envie, le désir de redonner à ceux qui l’ont fait grandir – et oui elle a grandi – leur dû. Sans les connaître, sans savoir à quoi ils ressemblent, on sent que des chansons comme Éternité auraient pu passer dans le radio-k7 de leur voiture, filant sur la route des vacances. Ce qui aurait fait de la production une coquetterie factuelle, insipide, la rend au contraire légitime. À l’heure où la nostalgie domine l’espace intellectuel, social, politique et artistique, le regard ému que porte Fishbach sur son adolescence, même si elle n’en fait pas un étendard, cette vulnérabilité de ce qui est passé et qu’on ne revivra plus, la rend profondément attachante. Et l’éloigne donc de toute posture, de toute compromission aux modes et à l’air du temps. Bien entendu, À ta merci n’est pas un album parfait, loin de là. Une telle démarche produit son lot de stigmates, agaçants pour les uns, géniaux pour les autres ; mais ainsi va la vie, cahin-caha comme chantait Dylan. De tout cela on retiendra les chansons déjà citées mais aussi Le meilleur de la fête et le morceau titre. On notera également que Fishbach par sa candeur novice a encore de belles choses à nous raconter. Ces fêlures, ces hésitations, ces doutes nourriront sans doute de très beaux textes qu’elle saura habiller avec goût. Pour étonner, pour séduire aussi. Au fond n’a-t-elle pas déjà tenue la promesse de ce premier disque : nous tenir à sa merci ?
Fishbach, À ta merci (Entreprise)
http://www.deezer.com/album/14634340
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