Il y a un peu de Luis Buñuel chez Juliette Armanet. Dans ce désir, louable, de renouer avec l’âge d’or. Mais en évitant cependant la passion confite – parce que désincarnée – de la seule posture stylistique. L’âge d’or de Juliette Armanet est bien celui des sentiments. L’amour y est central, comme un arc décochant ses flèches joliment empoisonnées. Pourtant, ce sujet maint fois traité, quasi éculé, trouve ici son expression la plus aboutie. Juliette Armanet a pourtant choisi de le raconter sous son versant le moins flatteur : celui des passions défaites ou de la défaite des passions. C’est selon. Notre chanteuse jouant une mi-temps dans chaque camp. Le plus important est de ne jamais trahir l’exigence d’incarnation. Derrière un sentiment vrai, il y a toujours une femme ou un homme pour l’exprimer. Ainsi, Armanet se retrouve-t-elle – artistiquement et charnellement – dans les chansons miroirs de ses anciennes idoles. Elle le fait d’autant mieux qu’elle connaît son bréviaire pop sur le bout des doigts, arrimés au piano – son enfant roi. Il y a dans chaque titre de Petite Amie quelque chose d’Allo Maman Bobo, une once moirée de Besoin De Personne que l’on redécouvre dans L’amour en solitaire. De doux clins d’œil à La déclaration d’amour – comme dans le simplissime Alexandre. L'Accident demeure exemplaire d’une écriture au service du grand chamboulement sensitif, la vulnérabilité guettant à chaque tournure, fut-elle fatale. « Accident sur la route/À mille kilomètre-heure/J’ai explosé mon cœur contre toi. » C’est beau comme la Ballade de Jim ou, dans un passé lointain mais réel, comme Melmoth chantant, frémissant, La mort multicolore. Vous l’aurez compris, avec Armanet c’est full sentimental, mais sans jamais tenter de singer ses pairs. Sur ce premier long, réussi de bout en bout, elle y développe fort heureusement son propre style, unique, où derrière les formules ciselées, dans un art consommé de la littérature faite chanson, surgit une émotion qu’elle choisit d’exprimer dans un feulement de voix : « J’ressens un manque d’amour ». Jamais une artiste ne s’était autant livrée, comme dénudée mais au sens psychologique du terme. Une telle démarche relèverait de la prise de risque absolue, mais Juliette Armanet n’est pas femme à s’effacer. Elle se poserait même en victime afin de mieux nous amadouer. C’est l’art d’Armanet. Son approche quasi tactile des idées et des sons se met au service de sa propre vérité, celle du cœur ; pour bien en comprendre la philosophie, laissez-vous surprendre par le basculement qui s’opère sur le pont d’Un Samedi Soir dans l'Histoire. Plus qu’un savoir-faire, un sortilège. Quels que soient les tempos, alanguis ou intrépides, quelles que soient ses humeurs, elle ne se démonte pas qui démontre une virtuosité incroyable, une assurance laissant l’auditeur pantois. Seule au piano, c’est le grand saut dans l’inconnu. Baignant dans la crème du groove, elle bondit, féline, et nous enserre dans sa griffe. Peut-on dire à ce stade que la production s’avère secondaire ? On oserait presque franchir le pas. Ce n’est pas l’étiquette, aussi belle soit-elle, qui rend l’élixir tantôt doucereux, tantôt capiteux. Même quand la musicienne ose l’électronique sur À la Guerre comme à l'Amour, voix et mots prennent le dessus, nous laissant sens dessus-dessous. Ce qui n’empêche pas Juliette Armanet de balancer comme ça, des refrains imparables, séducteurs, de parfaits petits tubes en puissance auxquels on ne peut que succomber. Parmi eux se hissent au firmament de la radiophonie contemporaine le jouissif Star Triste, le déjà connu Cavalier Seul qui avec le temps ne nous a pas déçu, Un Samedi Soir dans l'Histoire ou encore À la Folie, hymne pour les dévots du briquet érigé façon statue de la liberté dans les salles de concert. C’est là aussi le génie de Juliette Armanet qui a su éviter le piège de la mélancolie perpétuelle, la tristesse de la bonne copine célibataire, pour se muer en reine du dance-floor, en Diane chasseresse des nuits funky (L’indien). La girl next door deviendra-t-elle the next big thing – pardonnez ici l’anglicisme –, l’élue emportant tous les suffrages ? Qui sait… C’est ce que soulève au fond Petite Amie, album éminemment apolitique : parce que lui, tient toutes ses promesses.
Juliette Armanet, Petite Amie (Barclays – Universal)
http://www.deezer.com/album/15732934
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