« Si à l’avenir on entend parler d’un faussaire de génie, alors nous penserons à vous » avait déclaré le jury au jeune artiste peintre en devenir, tout juste sorti de l’école. Phrase pas tout à fait imaginaire que des générations de professeurs auront dû prononcer devant le talent insolent de certains de leurs élèves. Surtout quand ces derniers dépassaient leurs maîtres comme on l’observait parfois dans les ateliers du Caravage ou de Ingres, appelés si justement écoles. Toutes ces considérations savantes s’appliquent bien évidemment à la musique, et qui plus est à la pop. Ainsi, jamais un groupe – français – n’avait porté l’exercice si loin, avec un tel souci de véracité, en utilisant fort habillement les codes. Ici, les talentueux copistes de All If ne se contentent pas de poursuivre la geste Beatlesienne. Non, ils ont décidé de se concentrer sur l’après, les années Wings/10cc/ELO tout en conservant le lustre de la pop à l’anglaise, forcément tirée à quatre épingles, tout en scarabées dorés. Le titre de leur premier effort pose l’ambition, ce sera Absolute Poetry ou rien. Quant à la pochette, elle n’est pas sans nourrir notre propos liminaire, regorgeant de naïades à la nudité de porcelaine, en chairs craquelées sur fond terre de Sienne. Un manifeste. Peut-être. Derrière All If, on trouve d’abord Olivier Rocabois qui n’en est pas à son premier coup d’essai tant son art a su digérer toutes les couleurs de la pop à l’ancienne et de ce que l’on appelait, à l’horizon des années 66-67, le nouveau rock. Terme certes un peu pompeux mais qui rendait compte du bouleversement qui était en cours et qu’un certain David Jones enverrait, la décennie suivante, dans une autre galaxie. Mais revenons au groupe, car aux côtés d’Olivier Rocabois officie tout un aéropage de musiciens eux aussi confirmés. Certains n’ont fait que passer, comme le multi instrumentiste Gilles François, d’autres sont restés comme Antoine Pinchot et Valentin Dutrey. Dans ce creuset fécond, Rocabois – dont le nom convient à merveille à la métaphore – a sculpté dix chansons références – dont une réinterprétée – mais pas que. Dire cela, prétendre donc que l’homme semble, à l’écoute de ses morceaux, avoir été tétanisé par ses pairs au point de produire une timide relecture, serait injuste voire faux. Le singer-songwriter a eu cette intelligence d’écrire des standards pop, ce qui n’est pas rien – écoutez bien All Back To My House aux allures de tube éternel –, tout en les poussant plus loin encore. Avec leurs atours rutilants, le rusé musicien les a pervertis par son approche rock, pour ne pas dire punk. Il existe une réelle violence qui ne met pas longtemps à exploser, comme au début de Off Duty dont l’ambition est de générer un choc émotionnel. L’élève qui, dans l’atelier du maître, tente un coup d’état, désirant ardemment émerger de la foule studieuse des sages apprentis ! Off Duty sonne comme le pavois, il y a dans cette ouverture l’écho métallique de l’airain. Après un tel orage, il fallait faire retomber la pression, sortir aussi le velours ce que fait admirablement le groupe sur Green Green Gardens. Sublime ballade au piano rappelant le meilleur des singer-songwriters des glorieuses seventies. All Back To My House, c’est l’hommage à Macca avec ce je ne sais quoi d’électricité saturée qui montre un musicien sortant le nez de son bréviaire pour oser des choses – les cloches toute en ponctuation. À ce stade, on pourrait aussi songer au travail universel d’un James Murphy au sein de LCD. Body Language (Supernatural) poursuit d’ailleurs dans cette veine, ce système du son, avec ses déhanchements sexy, ses arrangements naviguant dans un espace, non loin de ELO. Queen Of Spain ne cache pas ses intentions, brodant au fur et à mesure que les guitares acoustiques et le clavecin – légèrement singé – s’entremêlent un menuet folk dont seul Amazing Blondel avait le secret (Evensong et Fantasia Lindum). Face b puisque Rocabois doit à l’évidence raisonner ainsi, on trouve une suite de chansons toutes plus intrépides les unes que les autres, je veux parler du presque byrdsien Worship Me Despise Me, du romantique What's Beyond The Curtain et de Four-Headed Monster, en clair-obscur. Ever Your Friend serait un peu le Dear Friend que McCartney, en pleine bataille d’égos discographiques, avait lancé à son ami Lennon. Le groupe finit sur une revisitation de All Back To My House, plus moderniste et peut-être trop robotique pour convaincre même si l’on perçoit fort justement le propos de l’artiste. Ne jamais confire sa démarche dans le culte du passé, fut-il grand ! Ce dernier n’est pas indépassable et c’est sans doute la vertu de ce parti pris de production. Alors, le copiste a-t-il été effacé par l’artiste ? Celui-ci s’est-il révélé ? Je crois que nous pouvons acquiescer. Oh, il faudra sans doute poursuivre l’aventure, du moins accorder une forme de confiance aux musiciens de All If, de les laisser s’épanouir, murir, comme le vin dans sa jeunesse offrant mille promesses. En attendant, il convient d’approuver absolument ce premier chapitre. Chapeau bas, messieurs !
All If, Absolute Poetry (Microcultures)
https://allif.bandcamp.com/album/absolute-poetry-lp
Photo : Mathieu Trautmann
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