Une main de velours dans un gant de fer. Vous avez bien lu. S’il est un groupe à qui ce retournement d’expression convient à merveille, c’est bien The Family qui finira d’ailleurs par effacer ce pronom inopportun. Family prend source à Leicester, la ville et non le célèbre quartier londonien. Comme beaucoup de jeunes formations nées dans le giron des Beatles, le groupe sort son premier album en 1968, année zéro de cette génération qui comprend aussi Traffic et surtout Jethro Tull auquel il est de bon ton de comparer Family. Même pont jeté entre la nervosité du blues-rock anglais et la délicatesse de la folk, même goût pour les instruments qui ne font pas naturellement partie du décorum rock. Si le Tull fait de la flûte l’axe de son inspiration, Family joue une carte plus diverse, ajoutant aux flûte et saxophone, violon et vibraphone. Et malgré la voix ferrailleuse de Roger Chapman, Family d’évoluer vers un univers incroyablement vaste, plus pop par certains aspects, et d’une rare sophistication. Une main de velours dont un gant de fer, donc. Sur Music in a Doll’s House, la synthèse est flagrante. La musique, elle, emprunte à toutes les traditions du nouveau folklore pop : psychédélisme de porcelaine, approche conceptuelle que l’enchaînement naturel des titres laisse supposer, sens du baroque. Bref, avec ce premier essai Family marque les esprits. Comment ne pas se laisser séduire par les petits bijoux racés que sont Mellowing Grey, Me My Friend, The Breeze ou 3 X Time. Même les morceaux plus orientés blues comme Never Like This possèdent leur propre charme et une belle efficacité pop. Si l’inspiration semble parfois s’égarer au vu du nombre important de chansons, les musiciens se recentrent sur l’album suivant, leur chef-d’œuvre : Family Entertainment. Ce pourrait être le Stand Up du groupe, en rapport avec le deuxième album brillant de Jethro Tull mais là où ce dernier continue de durcir son rock ponctué de flûte funk, Family poursuit dans une geste toute en finesse. Et frappe fort dès l’entame du disque avec son tube ultime, classique entre les classiques : The Weaver’s Answer. Aérien jusqu’à l’extrême, tendu comme un fil, clair comme un souffle, cette épopée miniature bien qu’acoustique dans la forme s’épanouit dans un orientalisme discret mais présent, sublime et que le groupe maîtrise à la perfection depuis Peace of Mind. Sur Family Entertainment, la surprise est à chaque coin de note. Si Observations from a Hill lorgne gentiment vers l’Amérique, le morceau conserve de son élégance britannique. Chapman a la courtoisie d’y céder le chant à Rick Grech que l’on connaît pour avoir fait partie du super groupe Blind Faith. Hung Up Down s’avère exemplaire du style Family, à la fois violent de par les expectorations vocales de Chapman cependant dominées par une rythmique souple qui laisse suffisamment de champ à Jim King pour faire assaut de cuivres et donner au titre ses inflexions étrangères, bohémiennes. L’orientalisme est poussé plus loin sur Summer '67, unique instrumental qui, s’il se veut une pause dans cette face a déjà bien remplie, nous emporte dans un tourbillonnant périple. Tous les musiciens s’y emploient, notamment John Whitney à la guitare. How-Hi-the-Li démarre timidement mais rapidement se mue en morceau inquiétant, presque ténébreux. Roger Chapman se réserve, restreignant ainsi son registre vocal, ce qui est heureux et permet à cette première partie de s’achever merveilleusement. On retourne le disque et Family retourne à l’essentiel, soit un blues rock dont on sent le single en puissance : Second Generation Woman. S’en suivent From Past Archives et son harmonica westernien et le très touchant Dim, banjo et harmonica galopant de concert ! C’est aussi dans ces chansons très courtes mais toujours parfaitement réussies que l’on apprécie Family, qu’il brille de mille feux de camp dans les plaines d’un Ouest américain joliment fantasmé. Processions est un prolongement peut-être plus anglais des tonalités exprimées précédemment, c’est aussi une ballade fort émouvante. Mais le groupe garde le meilleur pour la fin. Face in the Cloud et son sitar jamais tapageur se veut l’enluminure idéale d’une composition à l’écriture fouillée mais immédiate. Emotions porte bien son nom qui conclue le disque sur des accents grandioses : chœurs en introduction, cymbales caressantes et piano acoustique sur le couplet préparent le refrain. Chapman s’y époumone, acceptant ensuite de partager le chant avec Grech et de quelle façon ! Même les marimbas ne déparent pas l’ensemble et l’on referme cet album avec bonheur. Family va bien évidemment poursuivre une carrière à rebours des modes et même si le groupe se laisse séduire par les sirènes du hard et du prog naissants, c’est pour toujours revenir à ses premières amours pop. Le single Seasons paru en 1971 prouve par sa dimension enfantine que Family n’est pas un combo de rock de plus. Mais bien une communauté de musiciens aux visées hautes, savourant par-dessus tout la mélodie et les arrangements chatoyants. Après A Song For Me et Anyways, le duo Whitney-Chapman accompagné au songwriting par John "Poli" Palmer en reviennent à ces choses si savantes et en même temps évidentes que sont Larf And Sing, beatlesien et jazzy en diable, Spanish Tide avec son clavecin héroïque, car osant défier le vibraphone de Palmer. Fearless comporte d’autres jolis moments comme Between Blue And Me en ouverture ou les sautillants Save Some For Thee et Children. Comme beaucoup de ses compagnons de route, Family entamera un lent déclin jusqu’à la séparation en 1973. Mais en cinq ans, combien de chansons nous auront emporté entre deux rives, folk-rock et pop, attrapés par la plus ferme mais douce des mains ?
Family, Entertainment (Reprise)
https://www.youtube.com/watch?v=7FjXYWkcFYw
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