Jacques Prévert est l’un de nos poètes les plus populaires dont le langage, à la fois familier et visuel, fascine encore aujourd’hui. Nombre de ses œuvres ont été mises en chansons, c’est donc tout naturellement qu’un pont imaginaire vient se jeter entre l’auteur de Paroles et la chanteuse et compositrice Klô Pelgag. À l’écoute de son deuxième album, L’étoile Thoracique, la filiation semble évidente. La pochette, merveilleusement dessinée, onirique à souhait, constitue un premier indice menant à l’inventaire qui se trouve bien évidemment dans les treize chansons de Chloé Pelletier-Gagnon, celle qui se cache derrière son mystérieux patronyme. Bien sûr, il ne s’agit pas d’en faire l’héritière directe de la geste prévertienne, non. Cependant son goût pour les formules alambiquées, les associations absurdes ou des images à la simplissime beauté comme « les confettis de larmes » dans Chorégraphie des âmes, entérine une proximité avec le maître. Bien avant les paroles mêmes, délicieusement venimeuses, les titres sont une invitation au voyage et à la rêverie, une manière si particulière de flatter l’esprit, de piquer notre curiosité, de malmener notre pragmatisme. On est immédiatement plongé dans le grand bain de son propre monde, tangible et immatériel comme celui que nous avions découvert, étant enfant, dans Le roi et l’oiseau, le formidable dessin-animé de Paul Grimault et Jacques Prévert, donc. Les ferrofluides-fleurs, Les mains d'Edelweiss, Apparition de la Sainte-Étoile Thoracique, autant d’incongruités stylistiques et littéraires propres à nous éveiller, à nous réveiller même. Depuis longtemps, nous avons abandonné cette vision naïve que la pop se plaisait à explorer, à l’image des nursery rhymes anglaises. C’est l’un des premiers plaisirs de ce très beau disque. Mais dans la cartographie des sens, la mélodie joue aussi un rôle essentiel. Non contente de déclamer ses vers, la musicienne les enrobe de ses thèmes chatoyants, arrangés avec une inventivité totalement décomplexée. Qu’elle navigue sur son piano comme dans Au musée Grévin dont la forme dépouillée laisse une vraie place à l’émotion, qu’elle passe par des chemins plus contrastés, voire inquiétants (Incendie), Klô n’arrive jamais où on l’attend. Insomnie en fait la brillante démonstration. Sans jamais se limiter, elle s’entoure de piano, guitares, cordes abondantes et ukulélé facétieux, allant même à sortir des oubliettes du passé progressif le mellotron dont les Moody Blues et King Crimson firent le vecteur de leurs pires rêveries. Un tel déploiement ne nuit en aucune manière à l’expressionnisme de sa musique, encore moins à sa limpidité. Les chœurs qu’elles étalent comme une gaze ajoute à la féérie de l’ensemble et, revenant à Prévert, impose leur grâce enfantine. Certes, à contrario des vignettes de Prévert, ce deuxième album apparaît comme dense, voire roboratif. Pour ne pas dire symphonique. Il assume de dépasser le cadre des œuvres pop, et finit même sur les dix minutes de l’épique Apparition de la Sainte-Étoile Thoracique. Débutant par sept minutes en apesanteur, sans l’ombre d’un mot, le morceau s’achève dans le mystère d’une conversation entre ce que l’on devine être l’artiste et une vieille dame dont l’accent roule en bouche sa propre poésie. Interview extraite de son contexte et replacée dans celui d’une suite musicale à tiroirs dont les ultimes tintements d’horloge continueront de nous bercer un moment. Enfin et il est utile de le rappeler, Klô Pelgag nous vient de la Gaspésie – rien que le nom en dit long sur sa folie intérieure –, région située à l’est du Québec, terre sauvage et vaste. Au-delà de ces considérations topographiques qui campent le décor et la géographie inspirationnelle de la musicienne, c’est aussi et surtout l’histoire musicale de ce pays où la francophonie vibre malgré tout puissamment qui explique cette inclination pour le grandiose et la perfection pop. Klô Pelgag, sorte de Sufjan Stevens aux plus belles heures de Illinois. Mais surtout grande et nouvelle figure d’un surréalisme musical, d’un non-conformisme total. Aux « Paroles » de Jacques Prévert on peut d’ores et déjà ajouter la Musique enfantine, vibrionnante et truculente de Klô Pelgag.
Klô Pelgag, L’étoile thoracique (Zamora Label-Coyote Records)
http://www.deezer.com/album/14000320
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