The Legal Matters, dad pop

par Adehoum Arbane  le 03.01.2017  dans la catégorie A new disque in town

Vous avez la quarantaine passée, un peu de ventre, vous regardez dorénavant dans le rétroviseur – ne vous formalisez pas, c’est normal – et comble de l’humiliation, votre adolescente de fille vous qualifie de parfait ringard. Et si vous lui rétorquiez que non, vous n’êtes pas si dépassé que cela, quoique amoureux des mélodies pop à l’ancienne. Vous lui répondrez aussi que malgré le passage – cruel – du temps, vous pouvez vous targuer d’appartenir à un groupe de power pop, certes petit mais honorable, The Legal Matters, et qu’après un premier et franc succès, vous sortez votre deuxième album, Conrad. Oh c’est vrai, vous n’êtes ni Weezer ni The Cars, encore moins Fountains of Wayne. Votre reconnaissance reste, à ce jour, confidentielle mais suffisamment réelle pour vous en satisfaire, et briller. Ce soliloque imaginaire pourrait bien évidemment s’appliquer à n’importe quelle formation de taille moyenne, comme il existe ou doit en exister de nombreuses aux USA, comme ailleurs. Cependant, c’est au trio de The Legal Matters que celui-ci échoit. Sorte de super groupe dont on ne savait rien jusque-là, le trio se compose de Chris Richards, Cody Marecek et Keith Klingensmith, parfaits inconnus qui ont tout de même réalisé le tour de force de livrer un album parfait de bout en bout. Certes trop respectueux de l’idiome pop mais riche en belles mélodies, beaux refrains, ponts fiers et droits, et des plus remarquables. Sans faire preuve d’un génie qui les transformerait illico en Velvet Underground des temps nouveaux, ces trois quadras à l’imaginaire rebondi ont réuni le meilleur de ce qu’ils ont pu donner, soit onze chansons ciselées, efficaces en ce sens qu’elles ne quittent presque jamais les habits du rock mais à la fois suffisamment pop pour rester en tête, ce qui semblerait légitime mais dont la normalité malheureusement se perd. D’où un certain académisme de bon aloi, une inspiration certes un peu sage – nos musiciens ne sont pas des perdreaux de l’année –, mais toujours consistante. Pour en revenir au propos ouvrant ces quelques lignes, nous compléterons la chose en affirmant qu’il est sain d’entendre – allez, d’écouter – pareil disque aujourd’hui. Rassurant aussi de savoir ces chansons savamment agencées nées des cerveaux de songwriters accomplis, dans la force de l’âge, à la splendide maturité. Dieu sait que le jeunisme n’épargne rien, ni la politique ni la musique et qu’il convient de tête froide conserver. Sans prétendre diviser le monde de la pop, cliver inutilement un genre qui se veut universel, et malgré les décennies, frais et juvénile, il est heureux de noter à quel point l’expérience compte. Malgré les emprunts, la lignée dans laquelle nos trois compères, gentils paternels, se placent – les Beatles, mais aussi le meilleur de la power pop, Big Star & Cie –, cette musique parvient à trouver sa voie, à s’illustrer même. Rien que les deux premiers morceaux, Anything – et sa guitare lumineuse en introduction – suivi de I’m Sorry Love, donnent la sidérante impression d’avoir déroulé tout un disque entier. Minor Key poursuit avec une tendresse qui parfois fait songer aux Shins. Après cet instant tout en sucre, Short Term Memory renoue avec un college rock résolument cool, entre les anglais d’Oasis et Weezer mais avec une guitare dont la profondeur, la vrombissante électricité n’est pas sans rappeler les plus grandes heures des seventies. More Birds Less Bees termine cette première face sur des notes mélancoliques et douces, le registre où le groupe semble se sentir le plus à l’aise. On tourne la galette, et là, sans crier gare : le coup de grâce ! Pas le trépas, mais la gracieuse impression de vivre un moment grandiose, pétri d’émotion qui doit beaucoup à la puissance du refrain. Jolie comme tout, Pull My String nous emporte littéralement et s’impose comme un des grands moments de Conrad – on en trouve naturellement d’autres. Petite précision à toutes fins utiles, la mélodie nous fait oublier que nos jouvenceaux s’avèrent en fait des hommes à poigne, à barbe, taillés dans le bois, des totems pour leurs progénitures ou leurs plus jeunes fans. La magie se poursuit bien évidemment sur le reste du Lp avec, notons-les, le vibrant She Called Me To Say et le cool The Cool Kid. En bons pères de famille – Aïe on ne peut plus employer l’expression ! –, les trois musiciens assurent la conclusion de disque sur le velours du très touchant Hip Hooray. Quelle merveille que cette chanson tendre à faire pleurer n’importe quel viril joueur de baseball, star de son lycée. Idem pour l’hymne que représente Better Days – son titre bien évidemment – mais aussi ses notes délicates emmenées par la voix limpide, sans âge, et qui nous dépose jusqu’au terme du refrain, alors que le couplet reprend dans un nuage de simili mellotron. Les gars nous achèvent avec un solo, jamais grossier, n’équarrissant en rien le thème, mais le portant vers l’apothéose. Avec à la fin, cette idée simple, de reprendre les dernières notes après un silence provisoire. C’était sans citer la pochette à l’image du groupe, simple, dont la ligne claire dessine un gentil koala en chemise hawaïenne avec, dans un cartouche, le titre de l’album, Conrad donc, qui doit aussi être le nom de l’animal. Sorte de mascotte, reflet parfait de nos daddies cool en mode pop. Enfin, nous retiendrons cette leçon d’humilité. Conrad est sorti récemment, en octobre 2016. Sans fanfare ni buzz, sans agiter le petit cercle de la critique et des hipsters. On le découvrit comme ça, par hasard. Plus grand fut le plaisir à son écoute. Surtout lorsque l’on est soi-même un dad relativement rock’n’roll. La descendance le dira. 

The Legal Matters, Conrad (Omnivore Recordings)

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https://www.youtube.com/watch?v=oKcUYgoLVvU

 

 

 


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