Comparaison n’est pas raison prétend le vieil adage. Kevin Ayers serait une sorte de Syd Barrett blond. Même début en fanfare au sein d’une formation qui agita, à l’époque – c’était en 67 – les cercles de l’underground dont l’UFO était alors l’avant-scène. Même contribution éphémère, soit un album. Certes, Barrett s’imposa comme le seul maître à bord du Pink Floyd à qui le groupe, mythe du psychédélisme anglais, doit son nom. Il fut ainsi le principal songwriter et le père de tant de classiques comme Arnold Layne, Astronomy Domine, Lucifer Sam, The Scarecrow… Jusqu’à s’y cramer et le cerveau et les ailes, à force de vouloir toucher le noir soleil de la pop (et de l’acide). Kevin Ayers, lui, est ailleurs. De 1967 à 68, même CV en moins glorieux. Pourtant, sa contribution à Soft Machine s’avère fondamentale. Sur la première face, il cosigne avec Ratledge les classiques que sont Hope For Happiness ou Joy Of A Toy dont il saura se souvenir. Sur la face b, on lui doit cette suite de pop expérimentale qui fomentera mille révolutions pour le prochain line-up de la Machine. Lullabye Letter, We Did It Again, Plus Belle Qu'une Poubelle suivi du titre à l’écriture collégiale, Why Are We Sleeping ? Où sa voix fait des merveilles. Après la sortie de ce premier essai, Ayers quitte le groupe et part se la couler douce à Ibiza. Il revient l’année d’après et comme Syd Barrett, se lance en solo. C’est précisément là que les chemins de l’analogie se séparent. Kevin Ayers sera donc une sorte de Syd Barrett à rebours. Un anti héros positif, à qui tout réussit ou en tout cas, tout semble aller de soi. On ne parle pas là de succès financier ou même d’estime, mais d’accomplissement, d’équilibre personnel. Contrairement à Madcap Laughs qui sort le 3 janvier 1970, suite à de longues séances d’enregistrement chaotiques où Barrett n’est plus que l’ombre de lui-même, Kevin Ayers profite de l’été 69 pour graver son premier essai. Payant à l’écoute des dix chansons que le songwriter a retenues. Sans couper définitivement le cordon, Ayers partage avec Barrett le goût des mélodies suaves mais étranges, typiquement britanniques et merveilleusement acidulées. Comme son ami Roger, Kevin s’entoure des musiciens de Soft Machine qui ont longtemps cheminé avec le Floyd première génération. Même Peter Jenner qui produisit The Piper At The Gate Of Dawn, est du voyage. Mais à la différence du Fantôme de Cambridge, Ayers choisit d’enrober ses chansons de hautbois en serpentin, de violoncelles brumisés en fines touches. Et lorsqu’il convie l’orgue fuzz de Ratledge c’est pour mieux le dompter, le tordre, de manière à ce que jamais cette musique si singulière ne doive trop à la Machine Molle. Seule Song for Insane Times aurait pu figurer sur le premier Soft, voire sur Volume Two. Tout le reste sonne délicieusement, comme un anachronisme voulu, paisible. Ainsi sur Girl on a Swing ou Eleanor's Cake (Which Ate Her), Kevin Ayers se pique d’être folk sans tomber dans la musique des racines, tout en conservant la magie des comptines anglaises qui plaisaient tant au jeune Roger Barrett, ou à John Lennon lorsqu’il écrivait ses premiers poèmes chez sa tante Mimi. La fantaisie domine cet album enfantin mais pas que. Du fanfaron Joy of a Toy Continued au dylanien All This Crazy Gift of Time. Entre ces deux pôles s’ouvrent un monde chatoyant, profond sur Town Feeling, un peu fêlé sur The Clarietta Rag, rock et dissonant sur Stop This Train (Again Doing It). C’est avec le famélique The Lady Rachel que Kevin Ayers tutoie le plus la sécheresse de Barrett – ce dernier jouant de la guitare sur Religious Experience qui – ô ironie – ne sera pas retenu dans la tracklist définitive. Pourtant jamais Lady Rachel ne s’enferme, jamais il ne devient claustrophobique, malgré la voix doucement caverneuse du chanteur. C’est que le jeune homme maîtrise son sujet. Au contraire de Syd qui donne l’impression de naviguer loin des musiciens qui eurent la patience, la gentillesse aussi, de l’accompagner. Chez Ayers, tout est question de parti-pris, under control dirait-on. À l’exception peut-être de Oleh Oleh Bandu Bandong qui assume pourtant jusqu’au bout son psychédélisme psychiatrique, matrice imparfaite des œuvres à venir. C’est d’ailleurs le seul instrumental, étrange et étrangement privé du timbre si particulier de Kevin Ayers. Malgré son statut d’œuvre chorale, Joy Of Toy n’a pas vraiment à l’époque de modèle à qui le comparer. Ineffable à certains moments, totalement fou à d’autres, jamais le musicien ne rompt l’équilibre qui assure au disque son étrange cohérence. En marge de l’école de Canterbury à laquelle il fait bien évidemment partie, à bonne distance de la production pop anglaise, Kevin Ayers évolue comme un poisson dans les eaux limpides de Majorque où longtemps il habita. En résulte un album parfait, et parfaitement en dehors de l’air du temps. La face éclairée du lunaire Syd Barrett.
Kevin Ayers, Joy Of A Toy (Harvest)
https://www.youtube.com/watch?v=J2DBuVUm8VY
Commentaires
Il n'y pas de commentaires