Le progressisme n’en est pas à une imposture près. Alors qu’il claironne à qui veut bien l’entendre – et le croire – que du passé il faut faire table rase, il ne tolère – pour ne pas dire révère – rien tant que l’esprit vintage. La musique pop semble traverser la même crise identitaire qui la voit vasouiller dans des postures schizophréniques, jadis impossibles à envisager. Non pas faire du neuf avec du vieux mais arriver faire passer le vieux pour quelque chose de neuf, de moderne, pire de révolutionnaire. Avec beaucoup de lucidité, les deux têtes pensantes de Foxygen osent affirmer dans le tout dernier titre de leur ultime opus, Hang : « Everybody wants to change the world/Everybody wonders where the river goes/Everybody wants to save their souls ». Changer le monde, garder son âme. Là est l’angoisse, le tiraillement, le grand questionnement. Élasticité d’un propos qui oblige à toutes les contorsions, à recycler tout en cédant à une certaine emphase dont le rap a fait depuis longtemps ses choux trop gras. Non pas que la musique ne sonne pas bien, non pas que les deux musiciens ne fassent pas preuve d’un bon goût, ici évident. De leur troisième album en forme de grand sabordage à cette symphonie californienne de courte durée, les deux singer-songwriters donnent l’impression de ne plus savoir à quel saint se vouer, à quelle mamelle inspirationnelle téter. Certes le fait qu’ils honorent une vieille tradition de la pop américaine sur-orchestrée ne laisse pas indifférent, du moins l’esthète habitué à se repasser en boucle les Harpers Bizarre, Glen Campbell with Jimmy Webb, bref tous les héros de la sunshine pop en particulier et d’une certaine pop 24 carats en général. D’ailleurs c’est devenu le toc du moment : on ne peut s’empêcher lorsque l’on commente tel ou tel album de préciser qu’il s’agit du « Abbey Road » du moment, que son géniteur peut s’enorgueillir d’être le nouveau Bran Wilson ou le prochain Bob Dylan. Cocasse de songer que pour Hang, personne n’avait osé dire que le groupe lorgnait inconsciemment vers le Song Cycle de Van Dyke Parks : même vision bordélique de la pop. En huit chansons éclairs, sans l’once d’un éclair de génie, Foxygen arrive à refourguer tout ce que la pop music a produit de meilleur. La soul soyeuse et efficace sur Follow The Leader pour laquelle les Lemon Twigs ont d’ores et déjà fait mieux (I Wanna Prove To You). Pour le reste voyons un peu de quoi il en retourne. À quelle référence Foxygen doit son salut ? Avalon, malgré son titre aux Roxy gènes, a l’outrecuidance de recycler le refrain de Waterloo de Abba. Mrs. Adams ne s’embarrasse pas de scrupule qui se pare des mêmes arrangements que Peaches En Regalia sur la toute fin du morceau. On jugerait entendre Ian Underwood aux cuivres et aux claviers ! America effectue la synthèse de l’ensemble, véritable melting pop bâti dans la démesure à grands renforts de harpe, percussions hollywoodiennes, cuivres années 30. Comme dans un film de Woody Allen. On Lankershim, c’est le gros clin d’œil à Elton John, accords magnifiques de piano en entrée, slide diffuse mais avec une petite dose de Stones afin de ne pas décevoir les fans de No Destruction. On passe rapidement sur Upon a Hill, quelque peu expédié. Pour arriver à Trauma. Le titre est bien choisi comme si Foxygen avait été percuté, et donc avait tout perdu, mémoire et dignité. Rise Up, on va se relever ? Pas vraiment, on poursuit dans la veine orchestre de paquebot (ou de Casino, c’est au choix), façon Sinatra de fin de soirée. Cependant, et il convient de le dire, ce projet tout aussi Titanic que le précédent – Hang arrivera-t-il un trouvé son, non « un » public ? – marque par sa décadence touchante, sa folie irréelle, irrationnelle d’un point de vue strictement musical. Too much, osé, comme un Grand Hotel non Procolien, plutôt américain. Un Grand Motel donc, voire un Two Thousand And Seventeen Motel sans Frank, sans Mothers, sans invention. Un va-tout se heurtant à la logique moderniste et qui pourrait à l’avenir rebondir en échos lointains, ceux d’une grande œuvre incomprise, parce qu’à la fois pompeuse et somptueuse, pompière et altière. Un pied-de nez aux oreilles chastes. Un doigt d’honneur aux conventions du mélodiquement correct. Hang – littéralement "pendre" – est un peu leur Mulholland Drive, hollywoodien et labyrinthique, clinquant, imbitable, aguicheur dans sa manie de tordre toutes les conventions – et aussi celles du bon goût –, de vous balloter de lessive auditive en essorage conceptuel. Cependant, l’écueil tient dans le fait qu’il s’agit plus – disons-le – d’un délire de garnements que quelque chose d’émouvant. Au passage, il est utile de rappeler que lorsque Jay-Z, Kanye ou Pharell font de même, personne n’y trouve rien à redire. Le hip hop n’est-il pas par essence une musique d’enfant gâté, un rêve de production virant trop souvent au cauchemar sans une once de sensibilité, ou de vérité. Encore moins de songwriting. Qui peut croire que d’ostentatoires breloques, de grosses voitures pimpées et un parterre de filles dénudées, certes accortes, constituent la base, la sémantique d’une inspiration ? Ainsi, Jonathan Rado et Sam France seraient les rappeurs de la pop. Revenons à Hang. On en sort aussi barbouillés que la pochette, repu comme après le festin de Meaning Of Life – à ce propos écoutez l’introduction musicale de la sixième partie, The Autumn Years. Oscar Wilde n’écrivait-il pas dans Le portrait de Dorian Gray : « La modération est une chose fatale. Assez est aussi mauvais qu’un repas ; plus qu’assez est aussi bon qu’un festin. »
Foxygen, Hang (Jagjaguwar)
http://www.deezer.com/album/14973425
Photo : http://www.cararobbins.com
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