Le monde du rock est ainsi fait, divisé entre frontmen et sidemen. Ce que l’on appelait autrefois, avec une pointe de mépris, les requins de studio. BLOT a longtemps fait le job aux côtés de l’éruptif Gaspard Royant, et qui plus est, avec conscience et professionnalisme. Par tous les temps, en studio comme sur scène – il fallait à ce propos le voir dans la nuit live décocher ses flèches hendrixiennes. BLOT est bien plus que le simple nom d’un musicien, celui d’un singer-songwriter qui eut soif de se réinventer sans cesse au travers de projets, groupes ou personnages à la manière d’un Bowie des temps modernes. Eldia, Franz Is Dead, Dann Coltrane. Autant de terrains de jeu où il exprima son talent. Oh mon dieu, on se souviendra pour toujours de This Summer Is Lost. Huit ans déjà, et Eldia avait à l’époque quelques années dorées au compteur. Idem pour notre homme-orchestre, cerveau de la pop ouvragée comme on n’en fait – presque – plus, comme on en rêve encore. Évidemment, cette pop des temps anciens continue d’exister, et croire à son triomphal retour n’est pas une illusion de plus, un dernier coup d’œil dans le rétroviseur, manière de se dire que le contrat fut bel et bien rempli. Aujourd’hui BLOT nous revient – le nous à de l’importance lorsque l’on s’attache viscéralement à son travail – avec le sobrement intitulé Tambourine. Pas vraiment Green à l’image de celui des Lemon Pipers. Plutôt bleu, plutôt BLOT, intense et net à la fois. Si l’on s’attache à l’essentiel, c’est-à-dire à la musique, alors nous dirons ceci : quelle que soit sa véritable identité, celui-ci dépasse l’idée même de sideman, l’homme de l’ombre. BLOT est depuis toutes ces années – et ce dernier disque le prouve encore une fois – un compositeur de premier plan. Parmi les meilleurs, même. Nous tenons là le plus brillant de nos mélodistes. Un monsieur de la pop qui tient celle-ci depuis sa création – le Carnaby Street des sixties – dans sa plus haute estime, et comme le matériau le plus noble qui soit. Cette glaise, il la travaille avec savoir-faire certes, mais avec une vision bien précise de ce que doit être le résultat final, de comment une chanson doit sonner, par quel chemin elle doit serpenter, vous attrapant au passage, jusqu’à son dénouement. Jusqu’à l’apothéose ! Possédant plusieurs cordes à son arc, BLOT s’emploie donc à donner à chaque chanson l’habillage ornemental le plus propice. Sans sombrer dans un passéisme douteux. Car dès que le revivalisme semble pointer le bout de son nez, cet insatiable aventurier des sons aime à brouiller les pistes comme sur Tambourine que l’on pourrait confondre avec un sample, ou sur le troublant Sisyphus, son introduction scandée, son motif de synthé pointilliste et sa voix de velours qui s’estompe littéralement sur le refrain. Même constat sur Je n'aime que toi qui débute comme une relecture de Comment te dire adieu, mais c’était sans compter ce synthétiseur presque « techno » qui emporte cette tendre chanson d’amour, hymne à la Dolce Vita, dans un ailleurs futuriste. Génie absolu quand le riff synthétique prépare le terrain à un double solo, le premier aux sonorités gentiment psyché, et le deuxième plus volubile, littéralement vrombissant. Ces allers-et-venues entre les époques, ce grand mélange des genres se poursuit sur le rock’n’roll robotique de All I Got, l’efficace et minimal Movin On sans oublier December, mixé dans ses premières secondes dans la tradition de la French Touch, comme si le froid mois de décembre par ses inflexions clubs devaient invariablement nous faire tressauter, puis danser. Dans cette suite de morceaux savamment conçus, de façon maligne, ressortent les classiques imperturbables que sont le Blue-eyed soul So Sorry, l’immense ballade Don't Let Me Down qui voit le chanteur chevaucher dans un soleil couchant, aux côtés de Jerry Garcia et de Gram Parsons. À l’arrivée, neuf chansons pas plus. Si l’on décide de prendre du recul après avoir savouré ces morceaux les uns après les autres, on saluera une fois de plus le talent d’écriture du musicien. A-t-il, tel un Robert Johnson des années zéro, pactisait avec le diable pour obtenir de telles grâces ? On est en droit de se le demander. Unique bémol à ce disque éminemment séduisant, seule ombre au tableau, l’hésitation entre le français et l’anglais. On sait que BLOT vient de la culture indie anglo-saxonne, qu’il commença par là. Il pourrait repartir de zéro, en explorant pleinement la langue de Christophe. Il en a les capacités, le talent aussi. Peut-être se donne-t-il encore le temps et quand on voit les années passées, on se dit qu’il serait bien capable de nous surprendre à nouveau. En attendant, on réécoutera Tambourine avec gourmandise. Parce que c’est beau, parce que c’est BLOT.
BLOT, Tambourine (Le Pop Club Records)
http://www.deezer.com/album/14028318
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