Daisy Lambert, maréchal de transe

par Adehoum Arbane  le 29.11.2016  dans la catégorie A new disque in town

Maréchal de France, chef du conseil royal des finances et ami de Louis XIV, François de Neufville de Villeroy représente l’une des principales figures de la noblesse lyonnaise et qui fut, pour reprendre les mots mêmes de Saint-Simon, « magnifique en tout ». Malgré une carrière militaire des moins glorieuses, cet homme loyal se coula dans les habits du courtisan accompli bien qu’il conserva des attaches solides avec sa bonne ville de Lyon dont il fut gouverneur. C’est sans doute de tous les intimes du roi, de ceux qui arpentaient aussi les coursives de Versailles, la personnalité la plus attachante et également le secret le mieux gardé. À l’image de Daisy Lambert, autre figure impériale du Rhône septentrional. Après un premier album très réussi, Daisy Lambert aborde son grand œuvre, sans doute par son versant le plus audacieux. Huit chansons en tout et pour tout, une ambiance générale à vous faire glisser sur une voie lactée imaginaire, une attirance quoique maîtrisée pour la grandiloquence – et les titres de noblesses garnissant autrefois les poitrines –, dont les manières clinquantes s’offrent de courtes incartades, comme sur Majestic Hotel, Le Mystère et L’Autre Côté. Cependant, jamais l’auteur-compositeur-interprète ne cède à la facilité, encore moins à la vulgarité. À l’image de Lumière qui malgré sa pulsation nous conduit du côté de Francis Lai. Bien qu’il évoque par la suite une piscine de champagne, un jacuzzi d’amour pour séduire la femme qui semble murmurer à ses côtés, Lambert se montre digne, droit, beau, pris dans le masque de la gravité qui convient tant à ces musiques futuristes et sacrées, parées de synthétiseurs amples. Ainsi, Voyeur de nous surprendre, piano acoustique en premier lieu, voix noyée dans l’écho d’une quête spatiale, paroles enfin d’une rare profondeur dans le paysage pop hexagonal. La source est autant un trait d’union, dispersé par les alizés galactiques, qu’un manifeste où la voix dit, raconte sans chanter. Comme sur la plupart des titres, une pluie de claviers semble relier les chansons, pour ne jamais briser le rêve, le trip. Pour nous maintenir dans un doucereux sommeil éveillé dont le seul guide serait la musique, celle de Lambert. Si l’on accepte ce contrat, l’on peut continuer. Plus en avant encore. Pour passer comme le disait Morrison de l’autre côté. Avec lui, avec Daisy. De l’autre côté donc, sur l’autre face l’enchantement est de mise. La mélodie vicieuse, alanguie mais alerte se veut la méthode, le conseil donné à l’auditeur afin de se placer dans les meilleures dispositions possibles. Rechercher l’espace, voilà le crédo de l’artiste. Pour cela, il se dote d’une batterie de claviers mais ne néglige en rien les fender façon guitar hero. Celles-ci demeurent minoritaires mais se présentent, parfois, sous les atours les plus séduisants comme cette six-cordes toute en arpèges sur Higher. Subtil jeu de mots rendant hommage à un autre compositeur – un rituel perpétué depuis Chic Type où Lambert revisitait dans tous les sens du terme Norma Jean Baker – mais paradoxalement moins prisé des branchés, Pierre Bachelet. Dans la bouche de Daisy Lambert, cet hymne à l’amour retrouve ses accents triomphants, reprend goût à la vie. La production aidant bien sûr à commuer ce gentil « classique » – ? – de la variété française en hymne stellaire, de ces morceaux qu’on lancerait à l’évidence dans une capsule spatiale pour laisser un message d’espérance par-delà l’humanité. Pour ne rien gâcher au dithyrambe, on perçoit le respect du jeune artiste pour le mentor, leurs voix blêmes blêmissant d’autant jusqu’à se confondre dans leur propre fragilité. Un tel tapis déroulé à l’émotion ne pouvait que préparer le terrain au chef-d’œuvre qui a été, dans la démarche sacrificielle, jusqu’à donner son nom à l’album, comme un maréchal donnerait sa vie à son roi. Les Cœurs Célestes sont régis par les mêmes lois de l’attraction que celles qui ont aimantées Higher aux ports USB de nos cerveaux. C’est une tombée de rideau grandiose, un point final en points de suspension synthétiques. La simplissime beauté des mots se reflétant dans le marbre des claviers. Quand la dernière note finit de raisonner, s’estompant dans un nuage de rêve, on est bien sûr tenté de tout recommencer, d’appuyer à nouveau sur play. Mais la question nous taraude alors : pourquoi un album aussi court ? Est-ce parce qu’il pourrait singer la jouissance, l’orgasme, un plaisir convulsif qu’on voudrait voir durer pour l’éternité mais que l’on ne peut contrôler ? Possible. On ne peut s’empêcher de penser que l’auteur tout puissant, ivre de son pouvoir, ait voulu frustrer l’auditeur, et par là même catalyser son désir. C’est peut-être ce qui rend aujourd’hui son geste plus beau, plus noble. En promettant aussi – et surtout – de revenir bientôt pour la troisième fois. Au fond, c’est ça le miracle de l’amour.

Daisy Lambert, Les cœurs célestes (Archipel)

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Crédit photo : Nadia Khallouki.

 

 

 

 

 

 


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