Salvador Dali était coutumier du fait, non par manque d’inspiration mais bien parce qu’il se sentait profondément questionné par un sujet, une œuvre. Revisiter inlassablement un tableau, lui conférer une majesté nouvelle, l’éclairer d’un soleil autre, autrement placé. Même le terme revisiter possède un charme certain, comme si l’artiste pouvait rentrer une fois de plus dans son œuvre, la parcourir méticuleusement, en modifier l’architecture. La crucifixion, mais aussi L’Angélus ont connu plusieurs réinterprétations prolongeant ainsi l’univers déjà vaste du peintre, repoussant continuellement son horizon. En musique, on qualifie la chose plus simplement : remix. Exercice plus ou moins heureux de relecture qui ajoute trop souvent au morceau originel un vernis balourd, quelque chose de supplémentaire mais privé de sa dimension élémentaire. Avec sa version 2.0 de Non Négociable, Charles-Baptiste prouve l’exact contraire. Il faut le dire, Non négociable n’est pas seulement une chanson. C’est aussi l’exigence d’une promesse passée envers la pop. Un sujet – l’amour au travers de la rupture – depuis longtemps éprouvé, mais qui continue de remuer les singer-songwriters de tous temps, de tous lieux. Un sens iconique du refrain, dans son incarnation et sa volonté d’être fédérateur, associé à une prédisposition pour la mélodie. Si la préquelle s’avérait, dans sa beauté classique, éblouissante d’évidence, le remix de Souvenir – géniale ironie – inscrit d’ores et déjà ce hit fondamental dans le futur de la musique. En cela, Charles-Baptiste se pose en artiste dalien qui songe aussi à une certaine forme d’immortalité. Faire perdurer une chanson qui avait déjà marqué, lui donner cet élan qui la propulsera, depuis son aire de lancement, dans les cieux vers la mise en orbite éternelle. Ce qui n’empêche pas le chanteur, réputé pour le soin qu’il apporte à l’enluminure de ses chansons, de retenir une seule option, la puissance rythmique et synthétique. On connaît bien évidemment la quête quasi obsessionnelle de modernité du béarnais, son besoin de s’arrimer aux stations spatiales de notre époque, de sonner juste et plus encore. D’accéder aux sphères les plus élevées de l’émotion. C’est ce moteur qui a poussé les artistes à se saisir d’une œuvre, toile, chanson, déjà conçue, polie pour la revoir de fond en comble, la refonder ! Ici, on est tout d’abord saisi par la vibration du couplet, surligné de claviers élégants, stellaires. Les chœurs semblent se frayer timidement un chemin entre la sophistication électronique et la voix du chanteur qui, elle, aussi se voit enrobée, rehaussée, quasi amplifiée. On pourrait aisément tomber en syncope, subir une crise cardiaque devant la force tranquille d’une telle revisitation ! En effet, lorsqu’on y prête une oreille attentive, on perçoit en parallèle des nappes triomphantes rejouant la partition des grands ensembles symphoniques. Dans quel dessein ? Pour que l’aspect robotique, roboratif aussi, ne masque pas la pulsion charnelle, la splendeur réelle d’une chanson qui pourrait changer d’habits, se moirer différemment, vivre et vibrer, revivre et résonner plus loin encore. On en oublierait presque l’introduction parlée, voix féminine à la limite de la fêlure et les images, opérant non loin de celles d’un Truffaut des temps modernes, qui accompagnent superbement cette chanson avec laquelle on ne marchande plus d’ailleurs, tant elle nous a emportée. Avec laquelle on pactise ! Tournée en Corée, comme ça, comme si l’artiste avait été pris dans une valse, le résultat ajoute au morceau son point final. Un grand final ouvrant cependant une brèche. Vers un deuxième album ? On en rêve, pour dire les choses sobrement. Une sorte de virage incroyable à la Lucio Battisti, un dérapage contrôlé sur on ne sait quelle voie-lactée. L’idée plait d’emblée, d’autant que derrière le remix il y a l’engagement de l’écriture et l’écho de futures chansons. En attendant, ne résistez plus au pouvoir de trader du cœur de Charles-Baptiste. Car ne pas aimer ceci est d’ores et déjà non négociable, vous entendez ?
Charles-Baptiste, Non Négociable-Souvenir Remix (Le French Code)
https://www.youtube.com/watch?v=_qUFzx3XBRY&feature=youtu.be
Photo : Ghuilhem Malissen
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