Sonic Youth, formation clivante. D’aucuns se pâment devant l’intellectualisme bruitiste du groupe, d’autres pointent l’absence de « chansons ». De quoi venir chahuter ce bon vieux vivre-ensemble. D’abord disons-le, tous ont d’une certaine manière raison. Comment cependant parvenir à réconciliation ces deux familles ? Sans se soustraire à l’analyse objective – si l’écoute et la compréhension d’une œuvre musicale peuvent l’être. Afin de ménager les susceptibilités des uns – en gros, les fans – tout en garantissant l’intégrité des autres – les détracteurs – commençons par faire l’école buissonnière du parfait petit rock critic zélé, et abordons la dite formation par son versant le moins emprunté, par son album le moins cité, Experimental Jet Set, Trash and No Star, sorti le 3 mai 1994. Si Daydream Nation et Goo demeurent les figures de proue du groupe, Experimental Jet Set blablabla a le mérite de fusionner les deux hémisphères inspirationnels de l’ambassadeur de l’indie-alt-experimental-no wave-post punk-noise rock. À ce propos, Androgynous Mind représente à l’évidence la matrice de cette esthétique, entre classicisme pop et sauvagerie post-adolescence. Mais au-delà, il s’agit surtout de lister la somme des arguments qui nourriront de futurs débats et qui sait, une première trêve. Voilà pour le premier couplet.
Les guitares corde à linge tremblent dans les méninges.
Pour le second, entrons dans le vif du sujet, et parfois – hélas – du rejet. À ceux qui évoquent un rock froid, privé de refrains, vous répondrez qu’on peut au moins écouter les chansons de Sonic Youth en 128 kbps. Aux autres qui défendront bec et ongle son auguste et dissonante lignée, New York City, Warhol et le Velvet, Iggy mais avec de la pop, vous assénerez qu’ayant subi la discographie entière de Hawkwind aux longs tunnels soniques, vous n’êtes plus à ça près. Remarque qui fera mouche et que vous pourrez compléter par une saillie du type « Starfield Road relève de l’hommage, dans le chant comme dans l’électronique, au space rock du gang de Ladbroke Grove ». Vous constaterez à leurs mines réjouies à quel point vous avez vu juste. Quant à vous, amoureux de la première heure, tentez de convertir vos amis poppeux en évoquant la durée relativement courte des morceaux, gage d’accessibilité, osez même le mot lisibilité qui faisait tant gausser naguère et qui, après écoute de Winner's Blues ou de Waist, ramènera quelques ouailles dans votre paroisse. Achevez votre auditoire en mentionnant fort habillement le sens de la mélodie de Skink, et vous deviendrez le prince du mainstream de vos dîners en ville.
Les guitares corde à linge tremblent dans les méninges.
Pour prouver qu’en matière de pop on ne vous la fait pas, vous pourrez aussi arguer d’une spécificité connue de tous mais à laquelle personne n’avait songée. En effet, malgré les éclaboussures d’électricité, Sonic Youth s’inscrit dans une tradition de la pop qui a vu de nombreux groupes proposer l’attelage vocal, homme-femme, comme le Jefferson Airplane pour ne citer qu’eux. Passez de longues minutes à décrire la voix douceureuse de Kim Gordon, contrepoint idéal à la violence d’une musique que beaucoup avaient un peu trop vite mal jugée. Si vous appartenez au camp adverse, montrez que le fan de pop peut autant vibrer sur What’s Goin On de Marvin Gay que sur Paranoid de Black Sabbath. Du coup, se fader d’une traite Bull in the Heather, Doctor's Orders, le déjà cité Skink ou Sweet Shine ne lui posera aucun problème, au contraire. Mieux, suite aux acouphènes développés après des heures passées sur MC5 et les Stooges, les babillages de Kim Gordon s’avèreront aussi efficaces qu’une paire de boule Quies.
Les guitares corde à linge tremblent dans les méninges.
Tiens, les guitares, on les avait presque oubliées. Vous qui pérorez depuis des lustres sur Sonic Youth, insistez sur le fait qu’il n’existerait pas de pop sans six-cordes et que cette dernière adopta les mille et un registres d’un instrument qui, entre les mains d’un californien, carillonne comme nulle autre. Si vous l’osez, qualifiez la musique de Sonic Youth de primesautière. Si à contrario, vous décidez de rester rétif à cette jeunesse décidemment fort brouillonne, menacez votre auditoire de mettre un terme à cet échange saturé de décibels, lesquels s’ébrouent depuis les enceintes du salon. Après tout, une chaîne hi-fi c’est comme une guitare : il suffit de tirer sur le fil pour la débrancher. Appuyez bien sur chaque syllabe de cette dernière phrase.
Les guitares corde à linge tremblent dans les méninges.
Couplets et refrains se sont succédé, il semble que vous ayez jeté un pont, c’est le cas de dire, en direction des derniers sceptiques ; ils courront se procurer l’intégrale de Sonic Youth. Vous qui préférez le velours des studios – façon Wrecking Crew – à l’abomination saturée, vous avez répété ad lib, en fin de morceau, pardon de discussion, que sans Lou Reed qui était un pur songwriter pop, ces petits cons ne seraient pas devenus de vieux cons. Vous voilà tous accordés comme des guitares corde à linge tremblant dans les méninges. Serrez-vous très fort – mais point trop – et rappelez-vous l’ultime paradoxe qui fera bondir les adorateurs de Kim Gordon, Thurston Moore, Lee Ranaldo et Jim O’Rourke. Sonic Youth évolue dans les sphères indé depuis maintenant 28 ans. Voilà pourquoi vous pourrez lâcher avec malice et gourmandise : « De toute façon Sonic Youth, c’était mieux avant. » Effet garanti.
Sonic Youth, Experimental Jet Set, Trash and No Star (Columbia House)
https://www.youtube.com/watch?v=BgcfX7WfRmM
Commentaires
Il n'y pas de commentaires