Miles Davis, l’avenir du rock ?

par Adehoum Arbane  le 16.08.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

Qui ne s’est jamais interrogé ? Quel artiste, album incarnera l’avenir du rock ? En 2016, la question reste plus que pertinente, primordiale. Imaginez alors en 1969. Le rock s’était déjà mille fois réinventé, des générations – si l’on ose dire – s’étaient déjà succédé depuis les premiers rockers d’abord, puis leurs fabuleux rejetons, Beatles-Stones en tête. La révolution pop était en marche, celle du psychédélisme avait produit ses premiers effets, sidérants, joyeux, incalculables. C’est Lester Bangs qui, de façon quasi prémonitoire, annonça le coup d’après : Miles Davis, à l’avant-garde du nouveau rock. Ainsi, le journaliste et écrivain disait-il à propos de In A Silent Way : « The kind of album that gives you faith in the future of music. It is not rock and roll, but it's nothing stereotyped as jazz either. All at once, it owes almost as much to the techniques developed by rock improvisors in the last four years as to Davis' jazz background. It is part of a transcendental new music which flushes categories away and, while using musical devices from all styles and cultures, is defined mainly by its deep emotion and unaffected originality. » Qu’ajouter à cela, tant l’homme paraissait, à l’époque, clairvoyant ? Car des indices annonçaient déjà ce changement. Certes, on pouvait les trouver dans les précédentes productions du maître, Miles in The Sky – Stuff – et Filles de Kilimanjaro – tous les titres. Il y eut aussi ce projet de rapprochement entre Miles Davis et Hendrix, sans doute les deux plus grands musiciens du siècle. Mais la réponse demeure dans l’œuvre en elle même et, allons plus loin, dans les premières secondes de Shhh-Peaceful. Un murmure d’orgue hammond – instrument relativement conventionnel dans le rock et le jazz –, suivi d’un accord de guitare, arrête brusque du mix qui redémarre sur un ensemble de notes – fender rhodes, guitare, orgue en sourdine – au cœur du nouveau langage initié par Davis. Dans ce maelstrom de sons, qui donne à entendre une musique où les genres s’entremêlent pour se dissoudre les uns dans les autres, la trompette surgit, plane au dessus de cette jungle où les impressions, les phrases, les gimmicks sont partout. Perception totale, richesse instrumentale tranchant avec la noire sévérité de la pochette qui semble littéralement absorber le visage de l’artiste, duquel émergent deux globes ébènes dans leurs ovales blancs. Ce ton sur ton, malgré tout, transpire de vie, d’incarnation, de vision aussi, tout comme la musique déployée sur deux faces, en quatre thèmes s’imbriquant comme pour mieux effacer les frontières, jouer le flou artistique. Embuer les esprits par la moiteur sauvage qui explose à chaque seconde ! L’autre coup de génie du trompettiste tient aux choix des musiciens, soit un line-up plus resserré que sur Bitches Brew, par exemple. Un seul bassiste, un seul batteur, McLaughlin à la guitare, Wayne Shorter au saxophone et trois claviéristes se partageant les interventions. L’urgence aussi – mot appartenant au champ lexical du rock – est ici prégnante, on la retrouve surtout dans le jeu aux balais de Tony Williams. Frappe caressée qui trame le titre – saluons la prouesse –, tout au long de ses dix huit minutes et quinze secondes. La deuxième face se montre dans un premier temps sous un jour plus pacifié – ô ironie si l’on s’en réfère au titre du premier morceau – qui n’enlève rien à la magie spirituelle qui émane alors. Rupture à l’orgue qui, convulsif, se mue en rythme, crée un motif proche de ce que l’on appellerait dans le rock un riff. Deuxième rupture, on retrouve une forme d’atonalité, scandée par les baguettes de Williams, surlignée de fender, la guitare entre dans la danse. Et ô révélation, à mesure que l’attelage sonore prend ses aises, on perçoit l’influence qu’aura Davis sur la scène anglaise, et surtout sur Soft Machine. Il y a un peu de la Machine Molle dans In a Silent Way/It's About That Time. Ou, surtout beaucoup de In a Silent Way/It's About That Time dans Facelift, Slightly All The Time, Out-Bloody-Rageous ou Virtually. A quelques détails près, certes. Mais la paternité est évidente. Soft Machine n’a-t-il pas eu également pour ambition d’hybrider rock et jazz, de les fondre dans un creuset émergeant ? Enfin le plus remarquable s’avère les voies parallèles prises d’un côté par les claviers électriques, très ouverts, et le saxophone en liberté, de l’autre par la rythmique – hammond, batterie, basse – d’inspiration plus blues. La dichotomie du disque sert ainsi la démonstration, au rapport de force entre jazz et rock avec une première face toute en exubérance, et une autre toute en tension. Et de donner raison à Lester Bangs en suggérant ceci : In A Silent Way relève du manifeste, quant à Bitches Brew son corollaire, il poussera au-delà la logique inspirationnelle du musicien d’Alton. Qui revenu du passé continue d’incarner l’idée de futur.  

Miles Davis, In A Silent Way (Columbia)

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https://www.youtube.com/watch?v=lQKt7DTKyJU

 

 

 

 

 


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