Klement, la forme et le Fon

par Adehoum Arbane  le 12.07.2016  dans la catégorie C'était mieux avant

À en juger par les kilomètres qui s’éparent les Pays-Bas – malgré tout si hauts – et la Californie du sud, voire – sous les tropiques – le Brésil, on pourrait presque parler de pop des antipodes. En effet, c’est dans ces contrées, reculées mais moins froides qu’il n’y paraît, chez nos amis néerlandais, que Fon Klement, singer-songwriter du cru, livre un premier album d’un goût exquis. Publié en 1973, I Feel Lonely In My Town n’est pas en soi une révolution mais bien une continuité. Ses onze chansons savantes et claires comme une aurore nordique perpétuent la grande tradition mélodique que des musiciens tels que lui ont du analyser pendant des années pour la reprendre à leur compte. Accompagné d’un orchestre pour tout groupe, sans se départir des ingrédients de la belle pop – basses potelées, batterie mate, flûte vivifiante et trompettes fières –, Fon Klement – chante ? – enchante des compositions parfaitement écrites, c’est-à-dire évidentes, tout en explorant des biais moins attendus. Ici, Klement mélange folk et pop avec un sens du cool tout droit échappé d’un continent que l’artiste semble avoir intériorisé. Une saveur de sunshine pop, quelques touches d’easy listening dans les arrangements n’édulcorent en rien des chansons pénétrantes comme une rosée sur le port d’Amsterdam, au contraire ajoutent-elles une note de rêverie planante dans un univers qui se veut volontiers mélancolique. À l’image de cette pochette montrant l’artiste accoudé à un mur défraichi sous un pont en fer, près d’un vélo auquel manque une roue. Manière de dépeindre une vie bancale que Klement illumine cependant de son art du songwriting et de l’extrême musicalité de ses compositions. On ressort à la fois bouleversé et heureux de titres comme The Brownies, Stormy Afternoon ou le délicat Almost Daybreak. Don't Believe A Word quant à lui en devient l’écho, la suite logique, son prolongement harmonique qui poursuit encore pour quelques minutes la magie irréelle de l’instant. Comme si Klement avait déjà la nostalgie des impressions, des états d’âme qu’il vient à peine d’esquisser, premier album oblige. Dans cette peinture en demi-teinte, douce-amère dirions-nous, le compositeur arrive à glisser des touches plus primesautières, ainsi va She Said Hi tout comme les très décalés Listen To This Song et Father And Son qui rappellent le folk cahin-caha des Lovin’ Spoonful. Bien qu’appartenant à une scène moins connue, moins auréolée par le prestige qui singularise les productions anglaises ou américaines, Fon Klement ne se positionne jamais comme un suiveur habile, non plus comme un copiste de bon aloi. Son œuvre mérite d’être saluée au moins pour trois raisons. La première tient à son jeu, à la lisière de la guitare classique. Il y a dans ces arpèges quelque chose d’aérien, une finesse, un raffinement extrême qui font resurgir de la mémoire collective quelque nom illustre comme Duncan Browne. L’entame de Almost Daybreak émerveille par la dextérité du musicien, par son aptitude naturelle à créer des tapisseries harmoniques qui n’ont rien à envier à celles de la dame à Licorne. Le deuxième point, et il saute aux yeux dès les premières mesures de I Feel Lonely In My Town, ce sont à l’évidence les cordes qui ruissellent d’un titre à l’autre. Tantôt doucereuses, tantôt nerveuses, elles donnent à ces courtes chansons pop une dimension symphonique mais sans jamais verser dans une émotion trop lacrymale pour être honnête. Ces orchestrations assez grandioses – pour une production underground – savent parfois se mettre en retrait (I Won't Be Sorry) pour mieux revenir, triomphantes (The Brownies). Ce contraste entre intimisme folk et amplitude néo-classique confère aux chansons de Fon Klement, petits bonbons acidulés, en plus d’une forte personnalité, une profondeur quasi inédite. Le musicien sait en jouer qui semble composer avec cet hôte illustre, notamment sur le final de Please Remember Me. Enfin, et c’est un détail à ne pas passer sous silence, le moment où l’artiste délivre son message musical, l’année 1973. En Angleterre, le progressif est à son paroxysme quand le hard rock fait mine de retomber. Même les folkeux comme Nick Drake préfèrent opter pour des enluminures baroques d’une rare sobriété, hormis peut-être Bill Fay. De l’autre côté de l’Atlantique, les singer-songwriters ont pris le pouvoir, renouant avec leurs racines country. La soul est devenue funk et à l’exception de Todd Rundgren, ils sont peu nombreux à goûter au faste des productions trois étoiles. Fon Klement, lui, y va, il s’y engouffre avec d’autant plus d’aisance que la place avait été laissée vacante, il le fait avec d’autant plus de classe que ses chansons se hissent à ce niveau ! Ici donc, la forme ne va jamais sans le Fon. Et puis l’artiste ne nous avait-il pas prévenu sur la pochette de ce premier album admirable ? I Feel Lonely In My Town, était-il écrit. Si seul, presque à l’étroit dans ce pays de canaux au point de nourrir des rêves de conquête… Avec l’audace qui va souvent avec.

Fon Klement, I Feel Lonely In My Town (BASF)

P1130467 (2).jpg

http://tinyurl.com/jdjr83q

 

 

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top