Alister, de l’orage dans l’air

par Adehoum Arbane  le 05.07.2016  dans la catégorie A new disque in town

Tout est question de timing. Tel est l’enjeu. Un exemple : alors qu’Altamont signe sans le savoir l’acte de décès du psychédélisme hippie, les Stooges déboulent avec un No Fun prophétique. Quand le prog n’en finit plus d’agoniser, de double en triple albums, les petits cons du punk mettent un pied dans la porte, renversant dans la foulée la table de la loi rock. Alors quand les différentes révolutions larvent l’actualité, quand les élus se damnent en harcelant ces dames, quand le petit air du « tout fout le camp » se diffuse un peu partout, il était logique de faire dans l’urgence en laissant l’état de côté, dans le vindicatif avec un hymne au Travail sans foi ni loi : c’est ce qu’a réalisé Alister avec Je travaille pour un con, single que le rockeur a eu le bon goût d’accompagner d’une démo visuelle ad hoc. Le morceau efficace défile, trois minutes trente cinq au compteur, pas moins, pas plus. Aussi. Comme des préliminaires qui s’arrêteraient avant les folles turpitudes de l’amour physique et sans issu. Alors, on reste un peu sur notre faim. On regrette surtout de ne pas retrouver le désenchantement ombrageux propre à l’artiste, sa volubilité textuelle, son art Steely Danien de la pop, mais pour cela il y a l’album. On en connaît déjà – ou presque – la trame, le principe philosophique, la dimension académique si chère au songwriter, homme de lettres avant toute chose. On connaît surtout ces petites perles que ce dernier a lâchées en pâture depuis quelques mois à ses fans hardcores, Avant/Après mais aussi le somptueux Cathédrale, le tortueux Chaque Jour Comme Le Dernier et Honi Soit Qui Mal Y Pense, chanson envoyée à votre serviteur par inadvertance mais qui témoigne de son savoir-faire reptilien. Et puis, on rêve aux suivantes, ces compositions à venir, qui viendront donc à la manière d’un orgasme. Il y a de l’orage dans cet air-là, car il annonce donc d’autres nuages plus contrastés. Des merveilles qui pourraient s’épanouir dans le temps comme le fit FBI, sur Double détente. On en veut pour preuve l’histoire dans l’Histoire, celle de Gene Clark. Le singer-songwriter des Byrds avait connu la reconnaissance universelle en 74 pour son No Other qu’il avait signé sous son propre nom, un album terrassant de beauté sous ses atours country. Alors lorsqu’il revient trois ans après avec un nouveau disque, changeant au passage de label, il décide de séduire-rassurer les pontes de RSO – Robert Stigwood Organisation, producteur de Cream et des Bee Gees – en sortant des poches de sa veste de bucheron des hits potentiels, carrés, bien emballés, au cordeau comme on dit (Kansas City Southern, Marylou). Mais c’était pour mieux cacher d’autres trésors plus consistants encore, de ces ballades atmosphériques dont le bonhomme a le secret. Il eut été stupide de passer à côté de Give My Love To Marie, Sister Moon, Past Addresses, Hear The Wind ou Silent Crusade. Revenons à Alister qui s’avère un fin connaisseur des arcanes du monde médiatique, en plus d’avoir appris par chœur son bréviaire des musiques populaires. D’où le single, d’où ce côté à chaud, bien dans l’actualité, d’où la nécessité de tourner un clip. Mais contrairement à Gene Clark, Alister n’est pas revenu de tout. Entre Double Détente et ce numéro trois, répondant au nom de Mouvement Perpétuel, il a poursuivi l’aventure Schnock avec un réel succès – vendre 10 000 exemplaires à l’heure de la crise de la presse, ce n’est pas rien –, l’a même décliné sur les ondes avec l’émission Bleu, Blanc, Schnock sur Oui FM, co-animé avec le journaliste Mathieu Alterman. Alister trace son sillon à grands traits de plume et ce quel que soit le support, le média : journalisme, essais, chansons, il a plus d’une corde à son arc. Et travaille pour sa pomme. Non pour un con. Ce qui reste, par les temps obscurs que nous traversons, la plus précieuse des libertés. 

Alister, Je travaille pour un con (Autoproduction)

pochette_con.jpg

http://www.dailymotion.com/video/x4dtmdt

Photos : ©Dom Garcia

 

 

 

 

 

 

 

 


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