Les amis de mes amis sont mes amis, et c’est tout naturellement que l’on suit l’avis d’Alister, singer-songwriter de son état, homme de presse et surtout homme de goût. Oh ce dernier n’est pas à proprement parler un ami, pas plus que Kyle Craft n’est le sien. De ce proverbe vieux comme le monde on retiendra donc l’esprit de confiance. La sagesse de ceux qui connaissent sur le bout de leurs doigts de pianiste les canons de la pop. Qualité autant partagée par Alister que Kyle Craft, sorte d’angelot ébouriffé qui, malgré la pochette de son premier album, Dolls of Highland, ne boude pas son plaisir de revisiter la belle pop éternelle au travers de chansons solides. Mais pas que. Tout ici rappelle les sacro-saintes règles, dix voire douze – chiffre quasi magique – compositions, des formats plutôt ramassés mais qui n’interdisent pas d’explorer des paysages musicaux vallonnés, la trinité couplet-refrain-pont dont on ne saurait remettre en question la prééminence. De tout cela il est question dans ce disque parfait de bout en bout. À ce panel de critères structurants encore faudrait-il ajouter un usage immodéré pour le piano, mais ce serait peu faire cas des autres atouts de Kyle Craft. À commencer par la force de l’écriture. Détail qui en deviendrait presque irritant lorsque l’on se rend compte qu’à la première face en forme de sans faute (impression renforcée par l’enchaînement des titres), le jeune homme propose une deuxième pas moins intense, voire qui en prolonge l’esprit avec des mélodies habiles et immédiatement mémorisables. Qui ressortira indemne de l’écoute de Black Marie ? Jeune mais un brin roublard, il n’oublie jamais de les pimenter de ce je-ne-sais quoi, un petit côté « Show me the way/To the next whiskey bar » qui irrigue toutes les compositions, hormis peut-être le très beau final de Three Candles où Kyle Craft calme le jeu, montrant à quel point il peut évoluer dans divers registres. Certaines de ses chansons prennent alors des accents de kermesse héroïque, de fête foraine brinquebalante ponctuée d’orgue fou et de cuivres débraillés. De l’entame réussie de Eye of a Hurricane en passant par le tubesque Berlin, l’art de Kyle Craft trouve son paroxysme dans Lady of the Ark et Gloom Girl. Sans doute aussi parce que le compositeur s’y dévoile en chanteur inspiré, vociférant presque sur le refrain de Lady of the Ark. On trouvera son organe agaçant, à la croisée de Meat Loaf et de Jeff Mangum. Qu’importe, Dylan fut aussi en son temps sujet de détestation pour sa voix aigrelette, cela ne l’a pas empêché de publier quelques chefs-d’œuvre consistants. D’autant qu’après plusieurs écoutes, on se fait à ce vibrato si particulier, à cette voix au bord de la fêlure quand elle va chercher des notes toujours plus haut. La face A finit en beauté, par le très George Harrisonien Trinidad Beach (Before I Ride). On est aux anges ! De l’autre côté et, comme nous l’avions déjà mentionné, on découvre des chansons de la trempe de Future Midcity Massacre, Pentecost, Jane Beat the Reaper. Sans relâcher la pression, sans lasser même l’auditeur, celles-ci – à l’image de l’ensemble – révèlent une autre qualité de Kyle Craft, et non des moindres : celui de conteur. Les paroles, ouvragées et profondes, parfois drôles, contribuent à incarner les mélodies du songwriter. Craft perpétue ainsi la grande tradition des auteurs américains, Robert Zimmerman donc, mais aussi David Ackles et tant d’autres. Il le fait avec l’audace et la désinvolture qui siéent au jeune talent en devenir, sûr d’en devenir un. D’y parvenir sans céder aux facilités de son époque, sans tutoyer les grands espaces synthétiques qui sont l’apanage des œuvres contemporaines, mais sans non plus se laisser tenter par les sirènes de la nostalgie béate. L’homme se réclamerait plutôt de la tentation de Venise, partir pour se ressourcer, régénérer son inspiration et revenir, plus brillant que jamais. Mais nous n’en sommes pas là, à l’évidence. Craft démarre, il entre dans l’arène avec le courage de la jeunesse, avec l’assurance des artistes confiants. Il peut l’être. Le musicien a tout de même était signé par Sub Pop, ce qui est à n’en point douter un gage de qualité. Cependant, son album dénote des productions habituelles du célèbre label, et c’est heureux. Preuve de son caractère inclassable. Ces poupées, bien que produites en série, n’ont rien d’industrielles. Elles ont la chair des choses suaves, délicieuses dont on reprendrait bien encore un peu, allez au moins pour les cinquante prochaines années. Au fond, comme l’amitié.
Kyle Craft, Dolls of the Highland (Sub Pop)
https://www.youtube.com/watch?v=P1rt5GzVX-s
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