On connaissait les franciscains pour cette qualité-là. Se délester du confort matériel, si l’on ose dire, s’agissant de moines, pour embrasser l’absolu et la spiritualité. Inspiré par Saint François d’Assise, ces hommes défièrent l’autorité religieuse, qui elle se gobergeait dans la richesse et l’apparat. En musique il existe de ces moines artistes qui sacrifient tout à leur art, mieux, qui choisissent l’expression la plus dépouillée pour faire surgir la beauté là où elle se trouve. Paradoxalement, c’est ici le cas de Kevin Morby. Paradoxalement, car ce troisième album enregistré à Los Angeles opte pour une palette sonore quelque peu élargie, chœurs féminins, piano et électricité parfois débraillée sont ainsi du voyage. Pourtant, Morby s’avère capable mieux que quiconque de fondre chacun de ces éléments dans une matière compacte, presque brute, de réduire ces instruments jusqu’à obtenir la pierre la mieux taillée, la plus précieuse. C’est en tout cas une constante du songwriting du jeune texan installé à NYC, puis exilé en ces terres californiennes qui inspirent tant de splendeurs spatiales. Mais revenons au propos, la limpidité des neuf chansons que renferme Singing Saw. Au-delà des choix de production donc, qui ne sont pas à minimiser – les cuivres s’époumonant sur le très droit I Have Been To The Mountain, les quelques cordes qui pourlèchent ces chansons indubitablement originales, le traitement de certains claviers, notamment sur le morceau titre –, celles-ci procèdent de la même approche, une sorte de modestie au seul profit de la mélodie et de l’interprétation – la voix et son prolongement, le texte. Cut Me Down – au ressac frissonnant –, Drunk and On a Star ou Ferris Wheel en sont emblématiques qui hésitent à dérouler leur canevas de notes afin de préserver l’émotion pure. Mais c’est bien dans Singing Saw que cette délicatesse de miniaturiste prend tout son sens, trouve son expression la plus totale. D’abord morne, indolente, la chanson se redresse, met le cap vers l’inconnu, cet horizon littéralement démultiplié par les chœurs, leur traitement tout en écho, la guitare électrique et l’orgue vibratoire. Comme nous l’avions déjà affirmé, toutes ces couches, ces idées s’imbriquent en une proue saillante, fendant des flots immatériels à l’infini. En cela on parlera de transe, rhétorique musicale similaire aux chansons épiques des précédents albums, Harlem River et Amen. Les titres suivant empruntent le même chemin, même si l’extase raide de Singing Saw a fait place à des langueurs plus ouvertes. Le sax très Dark Side Of sur Destroyer ainsi que les violons discrets sont autant de portes d’un univers qui aurait pu rester mutique, mais qui à l’instar du diamant propose de nombreuses facettes. Black Flowers qui commence sobrement – la prise de son fabuleuse qui permet de percevoir le moindre tintement – se met à éclore dès l’entrée des chœurs, à la deuxième minute. Il s’agit sans doute de la chanson la plus rutilante, aux parfums de piano exubérants et dont le ruissellement perpétuel procure un sentiment de sérénité, de paix intérieure. Black Flowers nous dit-on – enfin l’artiste – mais ces fleurs dans leur poudroiement de couleurs, rappellent non pas ce Dead Flowers Stonien mais bien Moonlight Mile qui referme le sublime Sticky Fingers. Dans un enchaînement parfait, digne d’un rêve, Kevin Morby poursuit avec Water, grande chanson de fin d’album qui fait un clin d’œil aux Rolling Stones de l’année 71. Toujours, sans brusquer les choses le songwriter se console de la lenteur qui semble, elle seule, capable de respecter ses compositions. Est-ce à dire que la musique de Kevin Morby est ennuyeuse, non bien sûr, celle-ci s’offre parfois des échappées vivifiantes comme sur Dorothy qui, dans ses moindres recoins électriques, donne du répondant à I Have Been To The Mountain. Sans doute Morby désire rester un artiste accompli donc inclassable. De plus, l’étiquette folk par trop réductrice ne convient pas à sa nature sauvage – quand elle n’est pas introspective. Indomptable au point de n’avoir cédé en rien à l’esprit californien, à la lyre enjôleuse des sirènes de Laurel, d’être resté au fond le musicien incorruptible qu’il était avant et qu’il entend demeurer. Indépendant, respectueux de ses idoles, mais du coup libre de leur emboîter le pas ou non. De ne pas être un Dylan bis, un Leonard Cohen de circonstance. Mais bien tel qu’en lui même, comme en atteste ce troisième jalon, qui s’impose comme le meilleur.
Kevin Morby, Singing Saw (Dead Oceans)
https://www.youtube.com/watch?v=5hpZqvrYFXI
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